Désarrois autour d’une messe

Le samedi 7 aout, une dizaine de jours après l’assassinat du Père Jacques Hamel (26 juillet 2016) à Saint-Etienne du Rouvray, je me suis rendue à la messe à Saint-Sulpice où j’étais tant allée au fil des années admirer la chapelle des saints-anges de Delacroix, notamment “la lutte de Jacob avec l’ange” …La chapelle est en travaux aujourd’hui et tous les Delacroix sont cachés derrière des madriers.

Plusieurs prêtres y officiaient, le chœur de cette grande église était plein de dizaines de personnes, venues pour une bonne part comme moi rendre hommage au prêtre de la campagne normande et une forte émotion se ressentait, comme matérielle.

Après la messe, au-delà des poignées de mains et des regards échangés à la fin de l’office, je cherchais un registre, pour y laisser, un petit mot, témoignage solidaire pour faire trace d’une mémoire, même quasi-anonyme. Cela me paraissait élémentaire.

Ne trouvant aucun registre nulle part, je m’avançai près d’un vieux confessionnal, où a été installé une sorte de bureau en verre. Là se tenait un des prêtres officiants, et je lui ai demandé où je pouvais laisser ce petit mot de fraternité, n’étant moi-même pas chrétienne. Paraissant surpris de ma demande, il me répondit qu’il “n’y avait pas de registre”. Et me voyant désarçonnée, il ajouta : “si vous voulez faire un geste, laissez de l’argent à la sacristie pour qu’on dise une messe pour lui”. Je suis poliment repartie…

En me rendant à l’église je pensais avoir manifesté quelque chose d’élémentaire, mon lien non pas au religieux, mais à la « commune humanité ».  Dans l’enceinte de ce bel édifice, mon modeste geste ne pouvait-il donc s’envisager juste comme celui d’une solidarité universelle ? Fallait-il qu’en 2016, entrant dans une église, en ces circonstances, seule la modalité ecclésiale de langage soit recevable ? Là, le cas n’avait donc pas encore été prévu.

En une bouffée m’est revenue une de mes récurrentes interrogations, de celles que je n’ai jamais pu résoudre : ce que je croyais évident ne l’était-il donc que pour moi ? Le dialogue en ces circonstances doit-il n’être qu’inter-religieux ? Mon mouvement était-il si subalterne, voire, carrément insignifiant ? J’avoue y avoir éprouvé de nouveau du malaise.

Ainsi en 2016, et après ce qui s’est passé d’horreur récente et ce qui s’est dit comme paroles d’union depuis, on en reste à cela : en l’église langage d’église ; et au-dehors langage profane.

Ce trouble, j’ai pris conscience qu’il a à voir avec ce qui depuis longtemps, nous plonge ou nous entraîne en terrain de confusion. Il s’agit des mots eux-mêmes, quand ils se mettent non seulement à prendre plusieurs sens, mais à prendre des sens opposés en un même vocable. Comment donc s’en sortir, si des mots désignant des éléments aussi fondamentaux que « personne », « rien », pour ne prendre que ces exemples, désignent des sens contraires : ce n’est rien et c’est un petit rien, Untel, c’est juste personne, mais c’est une personne….et il en va de même du mot « radical ».

Ainsi, dans la terminologie politique, la Gauche dite radical est censée être d’extrême-gauche, mais le Parti radical, lui, est au contraire bien modéré. De surcroît, si on songe à l‘étymologie de ce terme, qui vient du mot « racine », qu’observe-t-on ? Si on s’y réfère un mouvement radical indiquerait un retour à la pureté de ses racines, et l’on sait comment un peuple se développe et rayonne par les échanges et les hybridations tant biologiques que culturelles, et non par consanguinité, n’en déplaise aux tenants de la notion d’immaculé.  Chacun sait que le retour à l’origine n’est que fantasme.

Pourquoi tenons-nous à nommer radicalité (ce terme ambivalent) ce qui est sans ambiguïté intégrisme ou extrémisme, ou encore absolutisme ?

Louis XIV est-il un monarque radical, ou absolu ?

Isabelle la Catholique était-elle radicale, ou intégriste ?

Et le Nazisme, et le Stalinisme ?
Utiliser un terme qui en somme fait moins peur, comme ne pas permettre que des mots ou des gestes non spécifiquement catholiques soient, dans un élan bienveillant, exprimés dans une église, nous protègera-t-il ou au contraire nous exposera-t-il ?

…Avant de repartir, j’ai posé un cierge à Vincent de Paul, qui comme on le sait, soulagea toute misère en son temps, mais je me sentais très perplexe, un peu dérisoire…
P.P.