par Vincent Israël-Jost
L’élection de Barack Obama comme 44e président des Etats-Unis a été le point d’orgue d’une longue période qui l’a vu dans un premier temps remonter à la fois un lourd statut d’aspirant derrière la favorite démocrate Hillary Clinton et un retard important accumulé au début des primaires. Il est ensuite parvenu à résister à son adversaire républicain dans une course qui aura tenu le monde en haleine, avant de s’imposer, soulevant un enthousiasme peut-être sans précédent aux Etats-Unis comme dans le reste du monde.
Un corps d’électeurs divisé
Parmi ses électeurs, on assiste aujourd’hui à une polarisation entre d’une part ceux pour qui la magie continue d’opérer et qui sont confiants dans la capacité du nouveau président à faire preuve de la même virtuosité dans l’avenir que celle qui a caractérisé sa campagne, et d’autre part ceux qui, passée la joie de l’élection plutôt vécue comme un soulagement, envisagent d’ores et déjà un retour de Barack Obama dans le giron des politiciens de Washington. Le choix des membres de son équipe, dont plusieurs jouaient déjà un rôle important dans l’administration Clinton, et sa décision de faire appel au pasteur Rick Warren – dont les positions sont considérées comme étant largement conservatrices – au cours de la cérémonie d’investiture, ont été perçus comme les premiers signes d’une démission du nouveau président par rapport aux idées défendues durant la campagne. Pendant ce temps, ses inconditionnels se déplaçaient en masse à Washington pour assister à la cérémonie et nombre d’entre eux poursuivent depuis une activité quasi-dévotionnelle qui participe d’ailleurs au malaise des précédents. En ce début de mandat, on peut donc légitimement s’interroger si l’élection de Barack Obama a déjà d’une certaine manière changé quelque chose à la donne politique ou si, en dépit de l’événement que constituent l’élection du premier président noir des Etats-Unis, et dans une moindre mesure, la fin de l’ère Bush et le retour au pouvoir des démocrates, la politique américaine ne s’inscrirait pas dans une continuité sur le long terme. Une réponse à cette question ne saurait sans doute être trouvée dans les actes, trop peu nombreux pour le moment pour servir de base à un jugement, mais davantage dans le style propre au nouveau président.
Les valeurs de la gouvernance républicaine
Les actions entreprises par la précédente administration ont été suffisamment commentées et décriées pour ne pas faire l’objet d’une liste détaillée ici. Presque aussi douloureuse pour les Américains aura été la manière dont leur président George W. Bush les a représentés aux yeux du monde, sur le fond, en s’appuyant sur une rhétorique basée sur des valeurs telles que la liberté, la sécurité ou le sens patriotique, valeurs prises dans une acception suffisamment vague pour permettre la justification d’à peu près n’importe quelle décision, et sur la forme, en apparaissant comme un homme peu sophistiqué, aux tournures de phrase bancales, et possédant un sens limité des réalités géopolitiques. Ces aspects de la communication de l’ancien président demeurent dans une certaine mesure une énigme. Comment un homme qui a su gagner l’investiture de son parti en 2000 et deux élections présidentielles, dont les résultats furent certes contestés, mais qui se tinrent dans des conditions démocratiques, comment donc un homme qui a su se montrer à la hauteur dans ces différentes joutes oratoires, n’a-t-il pas été capable au moins de donner le change aux Américains durant ses deux mandats? Une réponse se trouve précisément dans l’adéquation du contenu et de la forme du discours, qui ont su entretenir puis amplifier une dérive régressive marquante de la période qui s’achève.
La liberté est peut-être la valeur qui a été invoquée le plus souvent par l’administration sortante dans la justification des actions qu’elle a entreprises ou qu’elle a refusé d’entreprendre. Celle des Américains et des Irakiens, était en grande partie prétextée dans la décision d’attaquer l’Irak tandis que c’est au nom des libertés individuelles que cette administration s’est opposée corps et âme à un rééquilibrage de la gestion du système de santé en faveur de l’Etat, qui impliquerait la mutualisation de son financement et donc l’obligation pour tous de participer au système. Ce type d’argumentation présente un double avantage qui explique son emploi systématique. D’une part il simplifie le discours politique en le fondant sur un nombre très limité de valeurs élastiques qui lui donnent une apparence de rationalité, tout en le rendant accessible au plus grand nombre. D’autre part, il n’engage à aucune ligne directrice particulière puisque dans la plupart des cas, une chose et son contraire peuvent être justifiés sur la base de ces mêmes valeurs. Ainsi aurait-on pu par exemple envisager qu’au nom de la sécurité des Américains, un système de santé accessible à tous soit mis en place par cette même administration Bush. Or le propre de ce système de justification est qu’il repose sur le choix univoque d’une seule de ces valeurs et se ferme à toute discussion dialectique qui prendrait en compte les nécessaires contradictions inhérentes à un ensemble de valeurs.
Aussi, fallait-il associer à ce système un visage qui sache s’abstenir de tout caractère de subtilité, accordant ainsi à un fond simpliste son représentant adéquat. Le choix de Sarah Palin sur le ticket républicain à la dernière présidentielle démontrait à ce sujet que le parti n’était pas prêt à renoncer à cette formule, électoralement gagnante depuis 2000, en prenant le risque de laisser John McCain, un homme réputé plus complexe, le représenter devant ses électeurs.
Une simple affaire de discours ?
La victoire de Barack Obama se révèle donc être la preuve que la rhétorique républicaine pouvait être évincée, mais ne pouvait l’être que par un système de pensée et d’expression plus complexe. On se souvient en 2004 de certaines piteuses apparences de John Kerry, candidat démocrate opposé à George W. Bush et qui, craignant d’apparaître trop européen aux yeux des Américains, feignait de ne pas comprendre le français alors qu’il le parle couramment. Il tentait ainsi maladroitement de rester dans le même système de valeur que des républicains pourtant bien plus à l’aise que lui sur ce terrain et, en l’occurrence, essayait de se montrer suffisamment américain..
En 2008, Barack Obama déplorait quant à lui ouvertement ne pas parler de langue étrangère («c’est embarrassant», disait-il) et défendait l’idée que ses jeunes compatriotes soient poussés à en apprendre au moins une. Cette position aurait été dangereuse pour un candidat déterminé à rester avec les mêmes valeurs que celles qui façonnent le discours républicain car elle aurait été négativement perçue une fois passée par le filtre de l’anti-patriotisme. C’est pourtant tout naturellement qu’Obama répondait aux attaques d’un groupe conservateur qui l’accusait de vouloir imposer aux Américains l’apprentissage de l’espagnol : les immigrés doivent apprendre l’anglais mais nous devrions simplement vouloir que nos enfants soient mieux instruits.
L’introduction de valeurs différentes et plus nombreuses chez Obama est ainsi à l’origine d’une réarticulation du discours qui, avec les progrès faits par ce dernier pour le délivrer clairement et simplement, gagne nettement plus en cohérence que ce qu’il perd en simplicité.
L’un des reproches adressés à Obama par ses «nouveaux détracteurs» est alors qu’il serait un homme de discours, qui les aurait séduits par une éloquence hors-norme, c’est-à-dire une qualité superficielle. Il faut pourtant reconnaître que chez lui, l’art du discours repose sur une argumentation autrement convaincante que chez ses prédécesseurs. Et c’est en imposant un discours mieux articulé et plus convaincant qu’Obama a réussi à faire émerger une adéquation entre sa personnalité et sa communication, en miroir positif de celle que l’on pouvait reconnaître à Bush et à l’inverse de John Kerry quatre ans plus tôt. Le gain de cette opération est considérable et a été reconnu par les électeurs comme une marque de respect envers eux, constituant une échappatoire au cynisme qui marque habituellement le jeu politique et sa perception par les électeurs. Que le bénéfice apporté par cette clarification des idées et de la parole trouve sa traduction sur les nombreux terrains sur lesquels l’administration Obama est attendue, n’est-ce pas ce que l’on peut souhaiter de mieux aux Etats-Unis et au monde ?
Vincent Israël-Jost
Né à Strasbourg en 1977 Vincent Israël-Jost y obtient un doctorat en mathématiques appliquées en 2006. Il réside à New Haven dans le Connecticut depuis 2008 et y a suivi la course à la présidence avec grand intérêt. Il poursuit également un second doctorat en philosophie des sciences et travaille sur l’imagerie médicale et l’observation scientifique.