What a waster…

par Sébastien Bauer

Décadence, élégance, romantisme, lyrisme, alcool, drogues, musique et cigarettes, sont autant de repères et de lieux communs pour définir un artiste qui pourrait venir nous hanter depuis le XVIème, le XIXème, et pourquoi pas le XXIème siècle…Mister Doherty sortirait d’une fumerie d’opium de Whitechapel, où il aurait trouvé l’inspiration dans quelques volutes, allongé sans le savoir, tout près, au plus proche de Jack the Ripper.

Le chapeau est planté en haut du crâne, le costume froissé est celui d’un Lord, l’arme est la plume. On devine qu’il a mal dormi, ou que ses nuits sont blanches. On le sent fragile, chancelant, prêt à s’écrouler à n’importe quel moment ; à fleur de peau. Le chemin le plus court menant à Peter est celui de la musique et du rock, chemin des plus courts s’il en est, et chemin que j’ai pris. La vraie question est de savoir ce que signifie être rock. Répondre à un style, à un mouvement donné, à une époque donnée, ou plutôt une attitude alternative de l’artiste correspondant à tous les mouvements artistiques en marge, et qu’importe l’époque.

Loin des clichés rock n’roll, Peter livre de la poésie, et de la littérature. Il parle de racines et de paradis perdu. Il siège entre Oscar Wilde et Jean Genet.

« In Arcady, your life trips along2 »

Se délivrer de la souffrance par la conquête d’un paradis perdu reste la finalité artistique de Peter Doherty.

L’Arcadie, contrée sauvage de la Grèce antique, est le symbole d’un âge d’or rempli d’idylles entre bergers, entre bergers et bergères ; Zeus né en Arcadie, et la bergère du banquet de Platon …Pays de Cocagne, il renvoie à l’idée d’un monde riant dont les pastorales auraient constitué le principal divertissement musical.
Pan et Peter Pan ; Pan Dieu rieur qui régnait en maitre sur l’Arcadie antique. Mi homme mi bouc et considéré comme mineur, il n’en était pas moins adulé ! Coureur de jupon, rares sont les déesses qui ne sont pas tombées dans ses filets. Pan célèbre la vie et la musique, le vin et l’amour. Il parle aux animaux du paradis perdu ! Comment ne pas faire d’analogie avec Peter Pan, personnage de notre enfance. Peter quitte le monde réel à tire d’ailes pour rejoindre l’Arcadie et ne jamais vieillir…

Ce mythe influencera une partie non négligeable de la musique et des opéras baroques, et les Lumières ; et Peter…La recherche de cette clarté, de ce soleil, celui d’un paradis perdu depuis longtemps, et dont on sait qu’on ne le retrouvera jamais…La lumière Pete en adopte le Saint Patron. Il reprend le thème de Saint Jean le Baptiste, mais c’est Salomé qui est mise en lumière comme l’avait exprimé Oscar Wilde dans sa pièce en un acte. Peter est obsédé par la possession ultime de l’être aimé, et fasciné par cette femme prête à voir l’autre mort pour le posséder en entier ; mais on ne tue pas la lumière, Peter en sait quelque chose ; c’est soi-même que l’on tue en tuant l’amour.

Pete pue l’Angleterre et croule sous le poids de ses croix irlandaises portées autour du cou. Enfant de militaire, il voyage, voit du pays à l’image de Rimbaud ce héros. Elève brillant passionné de littérature, il est victime de cette malédiction : la sensibilité de l’intelligence.

Malgré tous les drapeaux que Peter brandit, Union Jack, English Roses, St Georges cross, Monsieur Doherty n’a de terre que celle qui l’accueille ; Londres et ses clubs, ses pubs, et ses drugs, et puis Paris…Paris la romantique, qui l’appelle, malgré tous les problèmes de justice qui le contraignent en Albion. Il y trouvera refuge, comme Oscar.

Peter a conscience que la recherche de cette lumière ne peut le mener dans un quelconque paradis terrestre, c’est le pari faustien qu’il a fait ; loin de se tourner vers le mal, il s’en remet au diable, seconde force équilibrante de l’univers.

La malédiction Rock

Doherty reste un artiste rock pour la plupart, c’est évident. Mais là encore, que le hasard fait mal les choses ! Le groupe par lequel Peter se fait connaître est The Libertines. La dénomination elle-même en dit long. Si on ne s’arrête pas à une simple connotation sexuelle loin d’être cependant absente, ce qui compte, c’est avant tout être libre au sens premier du terme : exister par la pensée. Alors Peter prend sa liberté, et décide de se rendre à Londres pour vivre en artiste. Il habite toutes sortes de taudis sordides just by the river3 pour reprendre la chanson des Clash.

Le projet initial de Doherty est acoustique, une simple guitare suffisant à l’expression de son errance et de ses sentiments les plus enfouis. Fantasmes passéistes des producteurs, ou simple besoin commercial, The Libertines se transforment en la réponse Punk aux Sex pistols pour les années 2000.

Déjà les textes de Peter sont empreints de poésie, et de références à l’oppression et à la quête de liberté. La preuve en est le Arbeit macht frei4 scandé haut et fort pour ne pas oublier !

Pete se déguise avec des costumes d’officier désuets, et  adopte une attitude ambiguë avec son comparse Carl Barât. Ils chantent dans le même micro, lèvres à lèvres, pour se donner les répliques de leurs chansons d’amour…Et bientôt comme dans un vrai couple, le torchon brûle. L’amour ne les unit plus : « on aime, puis on n’aime plus ». Peter est horrible dans son rôle de chanteur punk ! Il annule concert sur concert car il est trop défoncé pour atteindre correctement le manche de sa guitare. Son rôle ne lui va pas! En manque, il ira jusqu’à cambrioler l’appartement de Carl. Le bateau prend l’eau, et l’Arcadie devient une course en solitaire. Comme beaucoup d’enfants, Peter provoque l’échec car il est dans l’incapacité de quitter. Il échange volontiers la force contre la douleur.

Books of Albion5

Depuis longtemps, Peter ne vit plus en Angleterre, mais en Albion. Cette appellation latine qui renvoie à la blancheur des côtes de Grande-Bretagne, sera sa signature poétique, et le nom dont il baptisera son navire.

Le Bordel revient avec les Baby Shambles6! En quittant lesLibertines, Peter n’avait pas quitté la scène. Il avait continué à organiser des concerts privés improvisés dans un quelconque appartement de Londres, en invitant ses fans et amis l’après midi même. Babyshambles est exclusivement dédié à la création artistique de Peter. Les books of Albion, sorte de pot-pourri de l’artiste, ou plutôt carnets de voyages pour coller à l’imagination, sont des écrits, des dessins des rencontres, des photos, que Peter accumule depuis son adolescence. Le premier Album des Baby Shambles, Down in Albion, est la transcription musicale de la création et de la vision d’une vie. Les chansons sont majoritairement enregistrées en une seule prise, et petit joyau, la chanson de ses 14 ans ! Peter nous prend par la main et nous embarque en exil sur son navire Albion, qui au gré des flots et des courants nous mènera tant bien que mal en Arcadie. Puis au fond peu importe où il pourra bien nous mener, puisque nous serons ensemble. Down in Albion est un disque cousu main. Tout est à l’image de l’artiste, et on s’y saoule de délices et de poésies. Des dessins, des photos sépia, des vanités et des textes de chansons griffonnés. Cette tête de mort et de con réinvente le concept album, mélange de brouillons d’écolier, et de carnets de voyage. Peut-être que c’est lui, le cancre de Prévert !

Pour Peter la création d’un disque a son importance de A à Z. Avec ce disque c’est toute la littérature dandy et décadente que Peter donne à voir et à entendre. Comme toujours, il recherche le paradis, et parle d’amour, mais A’Rebours… Avec le temps Pete redevient Peter, et n’apparaît quasiment plus avec l’accoutrement rock de ses débuts, à savoir du jean et du cuir. Son costume devient Le Costume, et pas n’importe lequel. En effet ceux qui pensent que le complet est un élément de la garde-robe, qui ne se porte que pour des occasions ou les journées de bureau ont tout faux ! Allez demander à un banquier pourquoi son costume possède deux ou trois boutons, ce qui a décidé son choix sur la largeur du col, ou même le boutonnage de ses poignets…Le Costume est rempli de codes que je vous épargnerai. Sachez simplement que le costume de Pete est celui du Dandy, celui du raffinement à la limite de la féminité. Honnêtement, regardez-le ! Peter a-t-il l’air d’un banquier ?

Narcisse
« Il est absolument insoutenable de s’apercevoir que ce que l’on dit dans votre dos, est absolument vrai ! » Oscar Wilde.

A force de se regarder dans l’eau de son miroir, on serait tenté de s’y noyer. Je propose d’y plonger plutôt que d’y tomber ! L’amour de soi c’est déjà beaucoup, et n’est-ce pas le commencement de l’amour de l’autre ? On peut toujours jouer les coquettes, et se parer. On peut toujours renvoyer l’image de son miroir aux autres ; mais à genoux dans le reflet de la flaque du caniveau que verrons-nous ? Et bien oui, tout ce que l’on dit sur Peter est vrai ! Doherty est sale, dépravé, drogué jusqu’à la moelle, ivrogne, usurpateur, dépressif, et angoissé. Peter est sale, tatoué, a fait de la prison, et y retournera. Doherty crache sur les journalistes, peint avec son sang, se lacère le torse, et vit dans un taudis. Pete annule des concerts parce qu’il est ivre mort. Peter transpire l’héroïne par tous les pores !

Mais Peter est un élégant, un équilibriste, un magicien qui dort avec ses chats. Il est poète, troubadour, diseur de contes, et chanteur à guitare dans le métro. Pete est beau dans son costume, ou dans son rôle de la femme aux bijoux. Doherty est un enfant, une sorte de Peter Pan dépravé, peut être celui que l’on voudrait devenir si nous n’avions pas peur de vivre avec cette épée sur le haut du crane : la liberté. S.B.

1- Quel branleur…
2- En Arcady, la vie s’écoule.
3- Sur l’autre rive du fleuve. Référence aux bas quartiers de Londres.
4- Le travail rend libre. Expression apposée sur le fronton à l’entrée du camp d’Auschwitz.
5- Livres d’Albion.
6- Les enfants bordeliques.