La primaire des indignés

par Claude Corman et Paule Pérez

Dans le même temps que la primaire socialiste s’achevait le dimanche 16 Octobre, le mouvement des indignés avait rassemblé pour la première fois des milliers de manifestants dans plus de quatre vingt pays.

 

A Times Square ou à Rome, les parias et les perdants de l’économie mondialisée protestaient contre un monde financier qui, « tout en ne pesant que 1% de la population de la planète dictait sa loi aux 99% restants ». Les banques qui avaient assuré leurs pertes en brouillant la frontière entre les activités de dépôt et l’affairisme cupide des « investisseurs » soulevaient la lame de l’indignation.

 

Révoltés par l’immoralité d’une telle hybridation qui rend chacun de nous solidaire de l’avenir des banques et du soutien qu’elles obtiennent des Etats quand vient le temps des naufrages, les indignés interpellaient les gouvernements sur les désastres d’une crise économique qui broie et marginalise un nombre croissant d’hommes ordinaires, qui, eux, ne peuvent pas « nationaliser » leurs déclassements.

 

Ce n’était donc pas uniquement à la richesse extravagante de certains, ni même à l’asymétrie croissante de la rétribution du Capital et du Travail que les manifestants s’en prenaient, mais au caractère scandaleux d’un système financier qui fait désormais garantir ses pertes auprès d’Etats-assureurs, alors que les humains semblent devenir des variables d’ajustement ou même des choses jetables.

 

Bien que l’endettement de certains Etats du monde occidental ne soit pas lié, du moins pas exclusivement, aux impérities et aux folies de l’univers boulimique des traders, la confusion entre les politiques d’austérité induites par ces dettes publiques dites souveraines et l’abondance des cadeaux consentis aux banques privées s’impose assez naturellement au mouvement des indignés. Et du coup, nous ne sommes plus loin d’une renaissance par défaut de l’idéologie communiste dans le camp des révoltés internationaux, à peine plus de vingt ans après la destruction du mur de Berlin.

 

Qu’on le regrette ou pas, les indignés ne sont pas pour l’heure révolutionnaires ni subversifs, ce ne sont pas des citoyens qui attendent  le grand soir, mais des personnes qui s’indignent de ne pouvoir vivre et travailler « dignement ».

 

A moins que ne se construise dans les années qui viennent un autre paradigme de développement de la richesse qui fasse droit à la créativité techno-scientifique et démocratique, tout en remettant l’homme au centre d’une économie gigantesque ouverte, il est raisonnable de penser que la tentation d’un système néo-communiste planificateur et protecteur progressera du côté des humains en colère et fera oublier les monstruosités bureaucratiques du passé. L’échec du système ultralibéral des trente dernières années refonde la légitimité et le crédit d’une économie collectiviste et ordonnatrice ou à tout le moins d’un interventionnisme musclé. Il redonne un goût sucré aux Etats, comme interprètes et garants de l’intérêt collectif des peuples. Et la face « antipathique » des douaniers et des veilleurs de frontières peut paraître à nouveau, dans une courte échéance, débonnaire et souriante !

 

C’est pourtant en relisant Orwell et Huxley que l’on peut imaginer le régime cauchemardesque qu’une néo-bureaucratie communiste disposant des systèmes d’information, de surveillance et de délation modernes et animée par l’immense et paranoïaque orgueil d’œuvrer au bien commun et de l’interpréter, fabriquerait quotidiennement ! Et en ce sens, l’anticapitalisme radical est loin d’être un humanisme, en dépit de ses multiples facettes sympathiques !

 

Une réponse politique originale, non bureaucratique, à apporter au mouvement des indignés, précisément parce que ce dernier est international et à ce titre héritier des premiers mouvements d’organisation du prolétariat, mais aussi parce qu’il est le meilleur témoin critique d’une économie mondialisée ouverte, devrait être la tâche fondamentale de la philosophie politique de nos jours.

 

Martine Aubry a rappelé dans son dernier débat avec François Hollande que l’on ne pouvait pas, comme homme ou femme de gauche, bouder les multiples formes de prospérité et de progrès qu’un monde ouvert a apportées à des fractions croissantes de la population mondiale, éloignées de l’Europe. Un tel aveu ne signifie nullement que l’on solde à peu de frais les ravages et les contrecoups destructeurs induits par le système de concurrence généralisée qui s’est imposé à la planète. Mais il indique l’effort théorique colossal que nous devons accomplir pour bâtir les fondations d’un monde différent, humain et ouvert !

 

Etrangement les commentateurs ont voulu voir dans le binôme HollandeAubry deux faux jumeaux de leurs parents, Delors et…Jospin. Delors en paternité tutélaire voire totémique, d’accord. Mais pourquoi Jospin? Eh bien,  il arrive à la Politique d’employer un mot ou un nom pour un autre, ici Jospin pour Mitterrand sans doute, dont la référence ne semble plus détenir la valeur sûre d’une recommandation. Mais en marge de cette invocation de « Dieu » en personne, la Gauche produit un assourdissant silence sur un autre de ses prédécesseurs et non des moindres : pas un mot sur la figure de Pierre Mendès-France, dont la stature d’homme d’Etat, la finesse d’analyse et l’intégrité humaniste fait bien défaut au paysage. Attendrait-on que la Droite s’en empare et le gadgétise comme elle l’a fait, par exemple, de la Princesse de Clèves ou de Guy Môquet ?

 

Dans le même temps que s’achevait la primaire socialiste, des démocrates tunisiens occupaient la place des Droits de l’Homme pour s’opposer aux factions islamistes qui entendaient faire interdire une télévision privée tunisienne sous le prétexte que celle-ci avait diffusé le film franco-iranien Persépolis. Dans le monde arabe longtemps soumis à des dictatures policières, les partis islamistes, incarnant une opposition « légitime » aux anciens régimes liberticides qui les avaient proscrits de l’espace public, diffusent avec persévérance leur propagande anti-occidentale plus ou moins visible et leur culte frénétique, absolutiste, aveugle de la Charia. Et leurs résultats sont les meilleurs parmi les partis…

 

Le 31 Juillet 1954, le président du Conseil, le même Pierre Mendès-France, prononça un long discours de conciliation devant le bey de Tunis, Sidi Lamine. Il dit notamment la chose suivante : « Le degré d’évolution auquel est parvenu le peuple tunisien – dont nous avons lieu de nous réjouir d’autant plus que nous y avons largement contribué -, la valeur remarquable de ses élites, justifient que le peuple soit appelé à gérer lui-même ses propres affaires. »

 

Et ainsi émergea  pour les Tunisiens « l’autonomie interne », première étape de la fin du Protectorat qui la gérait depuis 1881, puis de l’Indépendance en 1956 .

 

On voit bien aujourd’hui que les nazillons salafistes qui cherchent à intimider et  gouverner la jeune démocratie tunisienne projettent de rompre tous les liens amicaux, culturels, politiques de la Tunisie et de la France, auxquels PMF faisait référence, les considérant en bloc comme l’expression hypocrite et trompeuse des seuls intérêts coloniaux français…

CC et PP

 

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