Le rêve architecte

par Bernard Roland

L’architecture et le rêve sont en situation de proximité. D’un côté parce que les hommes projettent leurs rêves en bâtissant, en édifiant des monuments et des bâtiments, d’un autre côté, parce que dans les rêves, au cours de leur sommeil, les éléments architecturaux prennent une grande place. De plus, on sait combien l’architecture est présente dans l’art en général, qu’il s’agisse d’œuvres littéraires, ou plastiques. La psychanalyse s’y est diversement mais fortement appuyée pour développer ses théories, et aussi pour en étayer leur bien-fondé.

Dans les rêves d’architecture on peut placer toutes les constructions qui dépassent l’imagination ou qui en marquent les limites à une époque donnée, constructions toujours utopiques avant d’être réelles (cathédrales, pyramides, temples mayas, grande muraille de Chine, etc.) et aussi toutes les architectures utopiques liées à une philosophie particulière, véritables projets de société et de changement des rapports humains – telles les architectures issues de la philosophie de Fourier, les réalisations  de Ledoux, etc. Il y a en tout cas toujours quelque chose de possiblement visionnaire dans la position de l’architecte.

Utopie et lieu, il s’agit de l’espace

 L’espace réel et l’espace imaginaire du rêve ont leurs points de concordances et de radicale différence.

Ainsi dans le roman de Francesco Colonna écrit en 1467, Le songe de Poliphile, trouve-t-on une description des jardins de Cythère dont les données architecturales et florales seront largement diffusées au 16ème siècle, et serviront de référence à l’aménagement des villas italiennes de la Renaissance.

C’est du côté du rêve tel que Freud l’a  traité dans sa Traumdeutung, ou Sciences des Rêves, que nous aborderons la question des éléments architecturaux dans le rêve, elle servira de fil conducteur.

Sigmund Freud à travers les rêves qu’il cite se réfère souvent à des lieux, la figurabilité du rêve y amène souvent des images de lieux, dont les tableaux d’artistes comme De Chirico, Dali, Delvaux, Magritte etc., constitueront comme une illustration de la surréalité liée à l’espace.

Freud développe cette caractéristique du rêve à faire passer les pensées du rêve sous forme d’images dans le rêve et il en note la facilitation du travail de condensation et la possibilité de création de liens nouveaux[1]: « De tous les raccords possibles aux pensées essentielles du rêve, ceux qui permettent une représentation visuelle sont toujours préférés, et le travail du rêve ne recule pas devant l’effort nécessaire pour faire passer les pensées toutes sèches dans une autre forme verbale, celle-ci fût-elle très peu habituelle, pourvu qu’elle facilite la représentation et mette fin à la pression psychologique exercée par la pensée contrainte. »

Les métaphores architecturales de Freud :

Ces images représentent souvent des lieux ou des éléments architecturaux. En même temps que cet aspect figuratif des éléments architecturaux peuvent insister chez Freud par le biais du « signifiant ». Ainsi dans le rêve des trois Parques[2], ce signifiant se rapporte à une référence fréquente à Brücke, son professeur… « Il semble que la nécessité d’établir des relations entre les mots ne respecte rien, puisque le cher nom de Brücke (Brücke= pont ; wortbrücke = mot-pont, mot de liaison) ne sert, on vient de le voir, qu’à me rappeler l’Institut d’Université … ».

Freud a souvent utilisé des métaphores architecturales pour parler de la psychanalyse, dans son texte Construction dans l’analyse[3] et aussi dans le chapitre sur l’élaboration secondaire de la Traumdeutung[4] : « il y a même un cas où l’effort de construire, pour ainsi dire, une façade au rêve lui est en grande partie épargné, c’est lorsque celle-ci est toute prête dans le matériel des pensées du rêve et n’attend plus que d’être utilisée…
…A propos du fantasme :…Ils sont (les fantasmes) à l’égard des souvenirs d’enfance sur lesquels ils se fondent à peu près dans le même rapport que maint palais romain de style baroque à l’égard des ruines antiques : les moellons et les colonnes des édifices anciens ont fourni le matériel pour la construction des palais modernes. »

Le corps et la maison

Au début du livre à propos de la littérature consacrée au rêve Freud discute des thèses de Scherner affirmant que l’activité artistique du rêve est fournie par les stimuli somatiques : «Scherner croit même…que notre imagination a dans le rêve une figure de prédilection pour représenter l’organisme entier : ce serait la maison. Heureusement pour ses représentations, elle ne s’en tient pas à cela; elle peut au contraire représenter par des séries de maisons un seul organe, par exemple de longues rues figureront une excitation intestinale. D’autres fois, des parties de maisons représenteront réellement des parties du corps. Ainsi dans un rêve de migraine, le plafond d’une chambre (que l’on voit couvert d’ignobles araignées pareilles à des crapauds) représentera la tête.»[5]

Les éléments architecturaux  peuvent donc symboliser des organes : « …l’intervalle entre les cuisses serrées peut-être symbolisé par une cour étroite entourée de maisons, le vagin par un sentier très étroit et très moelleux qui conduit à travers la cour »…[6]

On retrouve cette métaphore dans « Les monologues du vagin », pièce de théâtre d’Eve Ensler[7] : « …Je ne peux pas vous parler de ça, là en bas. On sait que c’est là, point. Comme la cave. Quelquefois ça gargouille. On entend des bruits de tuyauterie et il y a des trucs qui ont du mal à passer, des petites bêtes, des machins, c’est tout mouillé, alors vous faites réparer les fuites. A part ça la porte est toujours fermée et on l’oublie. Je veux dire ça fait partie de la maison, mais on ne le voit pas, on n’y pense pas. Mais faut que ça y soit, parce que toutes les maisons ont besoin d’une cave, sinon ce serait la chambre qui serait au sous sol. »

Freud revient plus loin sur les hypothèses de Scherner indiquant que « l’imagination du rêve représente le corps humain entier comme une maison, chaque organe comme une partie de la maison[8] pour poser que l’état général de notre corps est assurément au nombre des stimuli somatiques directeurs du rêve, mais qu’il ne peut en déterminer le contenu, il fournit à ses pensées du matériel qu’elles devront utiliser [9]».

Freud cite encore plus loin les travaux de Scherner et Volkelt pour souligner avec eux que la maison n’est pas le seul cercle de représentations qui serve à symboliser la vie corporelle : « Je connais des malades qui ont conservé la symbolique architectonique du corps et des organes génitaux (l’intérêt sexuel ne porte pas seulement sur les organes externes), chez qui les piliers et les colonnes représentent les jambes (comme dans le Cantique des Cantiques), chez qui chaque porte symbolise un orifice du corps (« trou »), que toute conduite d’eau faire penser à l’appareil urinaire, etc. Mais la sphère de représentation de la vie des plantes peut également être choisie pour dissimuler des images sexuelles[10] ». Il reprend à cet endroit l’analyse du « rêve de fleurs » où le jardin de la jeune fille, comme dans le Cantique des Cantiques, désigne de façon métaphorique des lieux du corps.

La Villa italienne avec son jardin, ses plans d’eaux et ses rocailles fait de la demeure un lieu intégrant les forces naturelles obscures (eau, cascades, grottes) le tout enclos dans des murs protecteurs unifiants. Le rêve de Poliphile cité plus haut rejoint le thème littéraire du jardin d’amour que l’on retrouve dans de nombreuses poésies du début de la Renaissance, du Moyen-Age et même de l’Antiquité[11]. De même à l’intérieur de la maison, ses différents niveaux renvoient à des « lieux » psychiques différents : les espaces de vie au quotidien, la cave au monde souterrain, le grenier aux choses du passé.

L’ habitat », le bâtisseur, dedans dehors, vide et ouvert

Cette pensée de localiser dans la maison des fonctions corporelles et psychiques contribue à l’organisation architecturale et spatiale de la maison, elle a débouché sur la construction de maisons privilégiant certains aspects du fonctionnement tant pour des habitations individuelles, on peut citer ici la conception d’architecte thérapeute de Neutra (1892-1970), ami de Freud, se référant à la psychanalyse pour sa conception de l’espace[12], que pour des projets collectifs tels que des réalisations comme le familistère de Guise[13], dans le fil des idées fouriéristes.

Cette façon de personnaliser la maison, d’en faire un prolongement de son propre corps et de son psychique, se retrouve dans une façon contemporaine de poser l’habitat.

Ce peut être aussi une façon d’exprimer une monumentale mégalomanie du moi par la construction d’édifices hors du commun, qu’on songe aux constructions de Ceaucescu à Bucarest ou à la citadelle du roi Christophe en Haïti, délire de toute puissance. Mais aussi à toutes sortes de « délires architecturaux » comme le palais idéal du facteur Cheval, la maison de Picassiette à Chartres[14]…Bref quelque chose comme le « délire » du bâtisseur, cette mise en place d’une construction là où il n’y avait rien.

Lacan dans ses nombreuses références à l’architecture a souvent évoqué cette importance du vide dans l’architecture[15]. La maison  bien plus que de représenter le moi, marque un certain type de relation du sujet au monde, au-delà de la relation moi, non-moi, intérieur-extérieur, dont l’espace « moebien » est plus apte à rendre compte que l’espace euclidien auquel nous sommes habitués. Le rapport de l’intérieur à l’extérieur n’est pas celui d’un espace clos à un espace extérieur, mais par la présence des ouvertures, portes, fenêtres, cheminées, de la présence de lieux de circulation, d’activité, de désir, autour de ces trous. D’où l’impression d’étrangeté qui émane de murs sans ouverture.

On a en tête ces enfants appelés autistes qui tentent de fermer les ouvertures de leur corps avec leur mains, souvent les oreilles. Certains artistes ont pris la maison comme objet de transformation, comme Grégor Shneider (remodelage de la maison, isolation phonique, lieu d’effroi), allant jusqu’à la détruire comme Jean-Pierre Raynaud[16] (carrelage, fermeture, destruction). Georges Pérec aussi, avec son travail sur l’espace et la maison « mode d’emploi ».

Anselm Kiefer également dans son exposition Monumenta 2007 chute d’étoiles, au Grand Palais avec ces vastes maisons qu’il nous invite à découvrir dans leur matérialité, il ne suggère pas, il invite à sentir et à toucher.

Les ouvertures comme celles du corps sont des zones concernées par la pulsion. Rêve d’une jeune femme qu’on doit ramener à la maison, « par la fenêtre on lui jette un grand panier plein de choses lourdes… »[17]. La fenêtre ici comme lieu du regard, de ce qui passe ou pas (einen Korb geben=donner un panier=repousser une déclaration d’amour). La poire sur l’appui de la fenêtre interprété par Freud comme la poitrine maternelle, le balcon[18]de la maison, allant dans le même sens que l’expression familière française « y-a du monde au balcon ». Dans le rêve fameux de l’homme aux loups, les loups sur l’arbre apparaissent dans la fenêtre qui s’ouvre brutalement, cette fenêtre qui permet le cadrage de la scène ne figure pas dans le dessin et les peintures qu’en a fait le rêveur. Dans le rêve intitulé Chose bien étrange, le nom de Brücke est présent ainsi que divers lieux de passages, portes cochère, maison, fenêtre ouverte, pont, s’inscrivant dans un parcours mouvementé.[19]

Cet espace, non linéaire, que Freud pressent et qu’il exprime à plusieurs reprises sans en avoir l’outil conceptuel, dans le schéma de l’appareil psychique[20], où, dans la note (1), il dit que « le développement ultérieur de ce schéma déroulé linéairement devra tenir compte de notre supposition que le système succédant au préconscient est celui à qui nous devons attribuer la conscience et qu’ainsi P = C », ce qui suppose un bouclage de P et C; dans l’homme aux loups il note que « ce travail…trouve une limite naturelle là où il s’agit d’enfermer une configuration multi dimensionnelle dans lasurface plane de la description. »[21]

Les techniques médicales d’endoscopie, empruntant des voies anatomiques, comme celles de nos vaisseaux sanguins, ont aussi apporté une connaissance de l’intérieur du corps sous la forme de conduits « toriques », dans un mouvement qui n’est pas sans rappeler certaines successions d’espaces dans le rêve : couloirs, chambres, places etc. comme dans le rêve du Comte Thun[22] où se succèdent dans une indication de mouvement des lieux de passage : chambres, couloirs, escalier, sentier, fiacre, gare. Freud indique : « la série des chambres (Zimmer) traversées dans le rêve provient du wagon-salon de son Excellence où j’avais pu jeter un coup d’œil; elle évoque aussi, comme si souvent dans le rêve, des femmes (Frauenzimmer), ici des filles publiques ». Il y revient plus loin (p.302), « les Français qui n’ont pas l’expression Frauenzimmer pour désigner la femme, se servent cependant dans leurs rêves de la chambre pour représenter symboliquement la femme ».

Le symbolisme

Dans le chapitre consacré aux symboles[23] nous retiendrons ceux qui se réfèrent à des notations architecturales non sans rappeler les réserves de Freud à propos de l’interprétation des symboles qui ne peut se faire en dehors de leur contexte et des associations du rêveur.

Ainsi, il reprend le symbolisme des chambres comme représentant les femmes (Frauenzimmer), avec leurs entrées et sorties, le fait d’être ouvertes ou fermées. Le rêve de fuite à travers des chambres est un rêve de maison close ou de harem, il peut aussi être utilisé pour symboliser le mariage (Sachs). Les rêves de deux chambres peut être en rapport avec l’appareil génital féminin. Les sentiers escarpés, les échelles, les escaliers, le fait de s’y trouver, soit que l’on monte, soit que l’on descende, sont des représentations symboliques de l’acte sexuel. Les murs unis auxquels on grimpe, les façades le long desquelles on se laisse glisser (souvent avec une grande angoisse),  représentent des corps d’hommes debout. Ils renouvellent probablement des souvenirs d’enfants qui ont « grimpé » sur leur parents…

De même, on reconnaît sans peine que dans le rêve beaucoup de paysages, ceux en particulier qui présentent des ponts ou des montagnes boisées, sont des descriptions d’organes génitaux.

« Il y a des rêves de paysages ou de localités qui sont accompagnés de la certitude exprimée dans le rêve même : j’ai déjà été là. Mais ce déjà vu a dans le rêve un sens particulier. Cette localité est toujours l’organe génital de la mère ; il n’est point d’autre lieu dont on puisse dire avec autant de certitude qu’on y a déjà été.[24] », interprétation qu’il reprend dans son texte das Unheimliche, l’Inquiétante étrangeté[25]. Une partie de ce chapitre consacré au symbolisme est d’ailleurs intitulée : « Représentation des organes génitaux par des bâtiments, des sentiers, des fosses [26]», une autre aux rêves d’escaliers.

Objets composites architecturaux 

« La possibilité de former des images composites est au premier plan des faits qui donnent si souvent au rêve un cachet fantastique; elles y introduisent, en effet, des éléments qui n’ont jamais pu être objet de perception[27] ».

C’est là un procédé qui a été largement utilisé par les peintres surréalistes : « Une malade voit en rêve un objet composite qui participe de la cabine de bain au bord de la mer, du W.C. de village et de la mansarde de maison de ville. Les deux premiers éléments se rapportent tous deux à la nudité des gens et au fait de se déshabiller. On peut en conclure de leur liaison avec le troisième que (dans son enfance) une mansarde a été pour elle la scène d’un déshabillage.[28] ». Voir aussi le lieu formé d’un mélange d’une maison de santé privée et de plusieurs autres locaux (p. 289) et plus loin dans un rêve à l’Opéra, l’image de la tour désignée comme image composite par Freud (p. 295).

Les éléments architecturaux comme décor du rêve           

Au-delà du thème de la maison en tant que tel de nombreux rêves cités dans la Traumdeutung se situent dans un espace architectural, espace qui constitue souvent un des décors du rêve, de « l’autre scène », ce qu’expriment aussi de nombreux tableaux surréalistes.

A propos de cette autre scène, Freud renvoie à Fechner, qui émet, dans sa psychophysique, l’hypothèse que la scène où le rêve se meut est peut-être bien autre que celle de la représentation de la vie éveillée…L’idée qui nous est ainsi offerte est celle d’un lieu psychique[29]. Ce lieu psychique n’est pas pour Freud un lieu anatomique, il se sert pour le définir d’une comparaison avec un appareil optique.

Comme le décor théâtral disposé sur le vide de la scène, le décor du rêve est souvent une image architecturale ou un paysage, le théâtre de Palladio à Vicenza en est une illustration, ce que note Lacan dans son séminaire « l’Ethique de la psychanalyse »[30].

Dans le célèbre rêve dit l’injection faite à Irma [31], le décor est posé dès le début du rêve : « un grand hall-beaucoup d’invités, nous recevons ». Ce décor supporte les signifiants du rêve qui ont un rapport avec la circulation dans un cercle d’amis de préoccupations médicales concernant une jeune veuve. Ce rêve va constituer la première pierre et la fondation de la construction freudienne du rêve dans la Traumdeutung.

Certains rêves se passent de décor, comme celui de la monographie botanique, l’objet du rêve, le livre est ouvert à une certaine page…[32]ou le rêve on est prié de fermer les yeux[33]

La ville

Comme le fait remarquer Jacques Lacan dans le séminaire « l’identification », « question encore jamais posée qui concerne le signifiant; un signifiant n’a-t-il pas toujours pour lieu une surface[34]…Avant d’être des volumes, l’architecture s’est faite à mobiliser, à arranger des surfaces autour d’un vide ».

On peut reprendre l’intérêt de Freud pour la ville de Rome dans le fil de cette remarque de Lacan, Rome et « le souhait d’aller à Rome est devenu dans la vie du rêve le voile et le symbole de plusieurs autres souhaits très ardents… »[35], il y associe dans ce passage le souvenir du récit par son père de l’humiliation qui lui fut infligée par un chrétien qui jeta son bonnet neuf dans la boue[36]

Ici et Ailleurs

Cet aspect du rêve créateur d’images architecturales, du rêve architecte, est le résultat du travail du rêve, cette ouverture sur une autre scène : « C’est comme si dans le monde extérieur s’ouvrait un autre espace, comparable à la scène théâtrale, au terrain de jeu, à la surface de l’œuvre littéraire – et tout cela en fin compte consiste en un certain usage du langage et de la négation qu’il comporte – et la fonction de l’autre scène, on peut dire  aussi bien que c’est d’échapper au principe de réalité que de lui obéir.[37] »

C’est ce que souligne Lacan à partir du théâtre de Palladio à Vicenza : « L’architecture néoclassique consiste à faire une architecture qui se soumet à des lois de la perspective, qui joue avec elles, qui fait d’elles sa propre règle, c’est-à-dire qui les met à l’intérieur de quelque chose qui a été fait dans la peinture pour retrouver le vide de la primitive architecture…Il s’agit d’une façon analogique, anamorphique, de retrouver, de réindiquer que ce que nous cherchons dans l’illusion est quelque chose où l’illusion elle-même en quelque sorte se transcende, se détruit en montrant qu’elle n’est là qu’en tant que signifiante. C’est ce qui rend et qui redonne éminemment la primauté au domaine comme tel, du langage, où nous n’avons affaire en tous les cas, et bel et bien, qu’au langage. C’est ce qui rend sa primauté dans l’ordre des arts, pour tout dire à la poésie. »[38]

Ce qu’il reprend dans le séminaire « l’identification » : « J’ai déjà remarqué qu’apparemment il n’y a que du signifiant, toute surface où il s’inscrit lui étant supposée. Mais ce fait est en quelque sorte imagé par tout le système des Beaux-Arts qui éclaire quelque chose qui vous introduit à interroger l’architecture par exemple, sous ce biais qui vous fait apparaître ce pourquoi elle est irrémédiablement trompe-l’œil, perspective. »[39]

La production d’images et particulièrement d’images spatiales et architecturales ne concerne ni le bâtiment ni l’échafaudage, mais cet effet de trompe-l’œil, de décor d’une architecture structurée qui est celle du sujet et de la mise en scène de son désir, pendant le sommeil, dans cet espace du rêve.

Le travail du rêve est une élaboration, une écriture, un rébus, dit Freud et non un dessin[40], il y faut un lecteur pour transcrire la mise en figure, par le rêveur, des pensées du rêve. C’est à partir de là, dans l’analyse, qu’on pourra parler de construction ou de reconstruction. Néanmoins, on peut s’autoriser à parler du rêve architecte, comme de l’amour médecin, tant les architectures du rêve et les projets architecturaux ont multiplié leurs points de rencontre.

Bernard Roland

 

[1] Sigmund Freud, La Traumdeutung,  traduction Meyerson,  PUF, 1972, p. .296

[2] op.cit. p. 183

[3] S. Freud, , Constructions dans l’analyse Résultats, idées, problèmes, PUF.

[4] op.cit p. 418

[5] Sigmund Freud, La Traumdeutung,  traduction Meyerson,  PUF, 1972, p.  81

[6] op. cit.p. 82

[7] Eve Ensler,  Les monologues du vagin,  Denoël, p..36

[8] op. cit. p. 198

[9] op. cit. p. 208

[10] op.cit p. 298

[11] Günter Mader, Laila Neubert-Mader, Jardins Italiens, Office du livre p. 20

[12] Sylvia Lavin, Form Follows Libido. Architecture and Richard Neutra in a Psychoanalysis Culture, Cambridge (MA), The MIT Press, 2004

[13] Thierry Paquot, Marc Bedarida, Habiter l’utopie, le familistère Godin à Guise

[14] Massin, Ragon, Picassiette, Hooebeke.

[15] Jacques Lacan, L’Ethique de la psychanalyse

[16] Jean-Pierre Raynaud, Catalogue Christies, octobre 2006

[17] op.cit. p. 179

[18] op.cit.p. 319

[19] op.cit.p. 386

[20] Ibidem p. 460

[21] In Muriel Gardiner, L’homme aux loups par ses psychanalystes, Freud, extraits de l’histoire d’une névrose infantile, p.226, Gallimard

[22] op. cit. p. 186

[23] op.cit. p. 300

[24] op. cit.p. 342

[25] S.Freud, Essais de psychanalyse appliquée, p.199, Idées Gallimard, 1973

[26] op.cit. p..312

[27] op.cit. p. 279

[28] op cit. p. 280

[29] op.cit.p. 455

[30] Jacques Lacan, L’ Ethique de la psychanalyse, Seuil, séance du 3 février 1960

[31] Op. cit. p. 99

[32] op. cit. p. 245

[33] op.cit. p. 274

[34] Jacques Lacan, L’Ethique, séance du 3 février 1960, Seuil

[35] La traumdeutung, p. 174

[36] op. cit. p. 175

[37] Octave Mannoni, Clefs pour l’imaginaire, l’Autre scène, p. 97, Seuil

[38] J. Lacan, L’Ethique, séance du 3 février 1960, Seuil

[39] J.Lacan, l’Identification, séance du 30 mai 1962

[40] La Traumdeutung,p. 242