Drasha – Béréchit

par Léo Benchetrit

Bonjour, 

Pour commencer je vais vous parler un peu de ce que j’aime dans la Torah. A première vue, la Torah est juste un long récit qui raconte l’histoire du peuple hébreu. Mais en vérité elle est une sorte de long livre surprise. Quand on regarde le texte attentivement, on se rend compte que c’est un texte très construit, basé sur la réflexion et le mental des personnages. On se rend aussi compte que rien n’est réellement expliqué, il y a toujours des questions à se poser et des réflexions à faire et j’aime ça. Ce que j’aime aussi dans la Torah, c’est que l’on peut penser à sa manière. Il n’y a pas une personne qui a décrété que la Torah voulait dire ça et qu’il fallait la lire comme ça. Donc j’aime l’idée de réfléchir et de penser par soi-même. J’aime aussi qu’il y ait des gens qui se soient exprimés et qui aient dit ce qu’ils pensaient sous forme de commentaire (ex: Rachi, c’est le commentateur le plus connu au monde. C’est un rabbin français du11ème siècle, qui vivait à Troyes). De plus on peut la relire plusieurs fois et ne pas forcément comprendre la même chose. J’aime particulièrement ma Paracha, Béréchit car c’est le récit de la Création. Il est très beau à lire.

Parmi toutes ces questions celle qui attire le plus mon attention est l’histoire du serpent. Ce serpent est mystérieux.

Qu’est-ce que cette histoire vient faire là après le récit de la création d’Adam et Eve dans le Gan Eden ? Ce récit de leur création se termine par le verset 23 du deuxième chapitre « et ils étaient tous les deux nus, l’homme et sa femme, et ils n’en éprouvaient point de honte ». Puis il est dit juste après, au verset 1 du troisième chapitre « Et le serpent était rusé ». Le texte nous raconte ensuite l’histoire bien connue du serpent.

Rachi se demande : Quel rapport a cette histoire de serpent avec ce qui précède ? On aurait dû tout de suite nous dire le verset 21 : « Il fit pour l’homme et pour sa femme des tuniques de peau. Il les en vêtit ». Verset qui apparait juste après le récit du serpent. Donc, Rachi pense que l’histoire avec le serpent vient interrompre le récit de la création et que Dieu aurait de toute façon habillé les humains. La nudité serait étrangère à la question de la connaissance bien et mal.

Et puis, qui est ce serpent qualifié de « aroum » ? Aroum veut dire en hébreu à la fois rusé et nu. C’est sur ce double sens que porte toute l’histoire.

Adam et Eve sont aussi qualifiés de aroumim, « nus », mais peut-être aussi « rusés ». Avant le serpent, ils étaient « aroumim », nus, mais « n’en éprouvaient point de honte » nous dit le texte, alors qu’après avoir mangé du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, leurs yeux se dessillent et ils se rendent compte qu’ils sont nus.  Ils devinrent alors pudiques, mais peut être aussi qu’ils prennent conscience de leur capacité à être rusés.

Ce passage nous apprend par quelle ruse le serpent s’y est pris pour que Eve mange de l’arbre de la connaissance.

Avec Eve le serpent fait une approche prudente du sujet en posant une question dont je pense, il connaissait très bien la réponse :

« Est-il vrai que Dieu a dit : vous ne mangerez rien de tous les arbres du jardin ? »  Eve répond : « Les fruits des arbres du jardin, nous pouvons en manger, mais quant aux fruits de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez point, sous peine de mourir. » Dans sa réponse, Eve ajoute un interdit à l’interdit, nous fait remarquer Rachi : le toucher en plus de le manger. Du coup, le serpent se sert de cette occasion en or, pour faire toucher l’arbre à Eve. Quand Eve constate qu’il ne se passe rien, elle va plus loin et mange alors du fruit de l’arbre et en donne à Adam qui en mange aussi. On peut se demander ici si Adam sait si le fruit est celui de l’arbre du milieu (l’arbre de la connaissance) ou pas puisque c’est Eve qui le lui donne. On peut remarquer aussi que Eve n’a pas reçu elle-même directement de Dieu l’interdit, car elle n’était pas créée à ce moment-là et que c’est Adam qui lui a enseigné. Dans ces deux exemples, il s’agit bien d’un problème de transmission. C’est en rajoutant l’interdit de toucher, alors que c’était seulement de manger qu’on crée les conditions de l’erreur. Soit c’est Adam qui a mal transmis à Eve, soit c’est elle qui rajoute de l’interdit à l’interdit. Dans tous les cas, le serpent s’introduit dans la faille et peut tendre son piège.  La morale de l’histoire est qu’il faut transmettre avec fidélité et surtout ne pas croire qu’en rajoutant des interdits, on protège forcément la Loi. C’est ce que dit Rachi : « Eve ajoute et donc elle enlève ». C’est là sa faute. Dans les Proverbes 30, verset 6 on nous enjoint de ne pas rajouter à la Tora et dans le Talmud, on retrouve la même idée « Kol hamossif goréa », « celui qui rajoute, enlève ».

Quand on ajoute trop de mitzvot, on oublie la source originelle. Alors on place toutes les mitzvot sur le même plan et on s’éloigne de la mitzva essentielle et on ne réfléchit plus. Cette histoire nous amène à réfléchir au risque de multiplier les interdits.

On peut voir le serpent comme mauvais dans la mesure où il amène Eve puis Adam à transgresser l’interdit de Dieu, mais aussi comme utile dans le sens où il les pousse à consommer de la connaissance et donc à grandir et prendre conscience des choses. Faire la Bar Mitzva en quelque sorte. En Hébreu le « serpent », Nahach, est de la même racine que Nihouch qui veut dire « le sens de l’intuition ». Le serpent est celui qui a dévoilé les choses, qui les a devinées.

Un autre élément a retenu mon attention. Le serpent est seul. Il n’a pas de binôme comme les autres animaux de la Création. Ceci est peut-être la raison de sa passion pour Eve. Rachi souligne que le serpent a vu Adam et Eve avoir des relations charnelles dans le Gan Eden et qu’il en a conçu de l’envie pour Eve. Il est envieux de Adam et c’est peut-être pour cela qu’il manigance. Le récit introduit l’idée de la jalousie avant même la connaissance. Ce qui suggère que la jalousie existait même chez les tout premiers êtres vivants, même avant la jalousie meurtrière de Caïn envers son frère Abel. Notons au passage que Berechit est le récit de la Création du meilleur comme du pire. L’histoire de ce serpent envieux est peut-être aussi à l’origine du 10ème Commandement : « Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain, sa femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain. »

Finalement, grâce au serpent les hommes ont goûté au fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal. On n’existerait pas si Adam et Eve étaient encore dans le Gan Eden. Et nous ne pourrions pas exercer notre intelligence si le serpent n’avait pas incité Eve à manger du fruit. Et si comme il est dit, Dieu a créé l’homme à sa ressemblance, nous aussi pouvons être créatifs mais sans avoir la même étendue de pouvoir et en respectant à leur juste mesure les interdits.

Je tiens à remercier ma mère et ma famille pour tout leur soutien. Merci aussi à Madame Bélaïs, ainsi qu’à Maayane et Yeshaya Dalsace qui m’ont beaucoup épaulé durant cette longue préparation.

L.B. le 17 octobre 2020