par Dina L.
CHABBAT CHALOM !
Pourquoi chante-t-on la Torah au lieu de simplement la lire?
La Torah est lue sur une mélodie traditionnelle qui aurait été transmise à Moïse. La cantillation fut enseignée oralement jusqu’à l’époque talmudique, où un système de notation écrite fut mis au point par les massorètes.
Les signes qui indiquent la façon de chanter s’appellent téamim. Le mot taam signifie «goût» ou «sens» ce qui rend bien compte de la fonction des téamim, qui donnent de la saveur à la lecture de la Torah et en font ressortir la signification. Certains téamim sont plus fréquents que d’autres et certains sont très rares.
Dans la paracha Tsav, on trouve un taam appelé chalchélèt qui n’apparait que 4 fois dans toute la Tora, dont 3 fois dans le livre de la Genèse. Notre chalchélèt est donc le seul de la Tora en dehors de la Genèse.
On pourrait s’attendre à ce qu’un taam aussi rare se trouve sur un mot très important. Or dans ma parasha il indique la façon de chanter le verbe immoler :
«Vayich’hat vayika’h Moché midamo – Moise l’immola et pris de son sang.»
Ce verset en apparence si banal doit avoir une importance particulière sur laquelle le chalchélèt attire notre attention. Mais que cherche-t-il à nous dire ?
Pour le comprendre, j’ai analysé les 3 chalchélèt de la Genèse afin d’en saisir le sens.
Je vous invite donc à un voyage à travers des épisodes clefs de ce livre.
- Le 1er chalchélèt apparaît dans le célèbre récit de la destruction de Sodome et Gomorrhe.
Avant de détruire ces villes, Dieu envoie 2 anges pour sauver Lot et sa famille. Les anges lui disent de s’enfuir au plus vite sans regarder en arrière. Mais Lot tarde à s’enfuir, au point que les anges doivent le prendre par la main pour le conduire hors de la ville.
Le tout 1er chalchélèt de la Tora se trouve sur le verbe «VAYITMAMA: il t ardai t ». Pour quoi Lot tardait-il ?
Selon Rachi, «pour pouvoir emporter tous ses biens»
Le Midrach Berechit Rabba raconte qu’il s’exclamait : «Quelle perte d’ argent, d’or et de pierres précieuses!» et les anges lui auraient répondu: «Qu’il te suffise de sauver les vies, n’ai pas pitié de tes biens! »
Le chalchélèt marque son hésitation à s’enfuir les mains vides.
- Le 2e chalchélèt se trouve au chapitre 24, qui raconte comment Eliezer, le serviteur d’Abraham, trouve la future épouse d’Isaac. Il s’adresse à Dieu pour lui demander son aide :
«Il dit: Seigneur, Dieu de mon maître Abraham! Daigne me procurer aujourd’hui une rencontre, et sois favorable à mon maître Abraham.»
Le chalchélèt se trouve sur le verbe VAYOMER: «il dit».
Dans ses paroles, Eliezer semble très dévoué à son maître et très désireux de trouver la parfaite femme pour Isaac.
Cependant, si nous remontons avant la naissance d’Isaac, nous découvrons un verset surprenant : Abraham, qui désespère de ne pas avoir d’enfant, s’écrie : «Dieu Éternel, que me donneras-tu alors que je m’en vais sans descendance et que le fils adoptif de ma maison , Eliezer, (…) sera mon héritier.»
Ainsi, Eliezer aurait été l’héritier d’Abraham si celui-ci n’avait pas eu d’enfant !
Par ailleurs, le midrach Béréchit Rabba nous apprend qu’Eliezer avait une fille qu’il rêvait de voir épouser Isaac ! Cela aurait été un bon moyen de récupérer l’héritage pour sa famille. Si sa mission échouait, il pourrait proposer à Abraham de marier Isaac à sa fille. Il n’a donc pas du tout intérêt à lui trouver une autre femme.
Le chalchélèt révèle le tiraillement entre son devoir et son intérêt personnel.
- Voyons maintenant le 3e chalchélèt qui concerne Joseph.
Souvenez-vous : Joseph, qui a été vendu comme esclave en Égypte, se fait courtiser par la femme de son maitre.
Elle lui dit: «Viens reposer près de moi.» Il refuse.
Le chalchélèt se trouve sur le verbe VAYEMAÈN: «il refusa».
Vous l’avez compris : cela n’a pas été facile pour lui de refuser les avances de cette femme, il a quand même un peu hésité.
Après avoir analysé ces 3 chalchélèts, nous pouvons dégager 3 points communs :
– Les 3 se trouvent sur un verbe d’action
– À chaque fois, le personnage reçoit un ordre ou une mission
– À chaque fois, on note un conflit entre le devoir et le désir du personnage.
L’hésitation que ressent le personnage qui fait l’action est symbolisée par la forme et la mélodie du chalchélèt :
=> montrer le chalchélèt
Il se présente comme un zigzag et se chante avec trois allers-retours.
=> chanter le chalchélèt
On entend dans ces allés-retours le balancement du personnage entre son désir et son devoir.
Le chalchélèt de notre parasha nous indiquerait-il que Moïse a ressenti un conflit intérieur au moment d’immoler ce bélier?
Ce sacrifice avait pour but de consacrer Aaron comme Grand Prêtre.
C’est la dernière fois que Moïse offre un sacrifice puisque seuls les prêtres auront désormais cet honneur.
Le texte ne dit rien des sentiments de Moïse mais le chalchélèt nous fait entrer dans sa tête : Moïse rêvait d’être Grand Prêtre.
Selon le Talmud (Zevahim 102b), il aurait perdu le privilège d’être le père de la lignée des Cohanim en cherchant à refuser sa mission face au buisson ardent.
Il procède donc à l’inauguration de son frère avec un pincement au cœur.
Moïse paraît toujours obéir froidement mais le chalchélèt nous donne ici accès à ses émotions et lui donne une dimension plus humaine.
Je trouve émouvant que nous puissions découvrir les sentiments de Moïse grâce à une mélodie venue du fond des âges.
Nul besoin de chalchélèt pour vous remercier avec beaucoup d’émotion.
Merci à mes parents et à ma mère qui a super bien lu sa montée, à mes frères, à mes grands-parents et à toute ma famille et mes amis.
Merci à mon exceptionnelle tutrice Yael, au rabbin Krygier et à toute la communauté.
CHABBAT CHALOM !
D.L. le 23 mars 2019