Le triptyque d’Unamuno

Huile sur papier et bois – 2015

Le 12 Octobre 1936, dans l’université de Salamanque, dont Unamuno est le recteur, on fête le « dia de la hispanidad », le jour de l’hispanité qui est aussi le jour de la fête nationale espagnole et « el dia de la raza » dans certains pays hispano-américains. La femme de Franco, le général Millan Astray, borgne et manchot, et considéré comme un héros de guerre en raison de ses infirmités, des évêques, des soldats, des phalangistes sont présents dans le grand patio de l’Université. De nombreux auteurs comme l’écrivain italien Leonardo Sciascia dans son livre « Heures d’Espagne » ou des cinéastes comme Fernando Arrabal dans son film « Viva la muerte » ont croqué cette scène où un homme seul avec son indépendance et son courage d’esprit affronte la foule franquiste. Dans l’une des plus anciennes universités d’Europe où l’on peut encore visiter la salle de cours de Fray Luis de Leon, la foule ce jour là exulte, se presse, pavoise, elle s’imagine être l’unique légataire du génie espagnol. C’est elle et elle seule qui incarne l’âme de la nation et de la sainte Eglise, c’est elle qui a en dépôt et en garantie l’esprit aventurier des conquistadors ou la création littéraire et picturale des grands artistes du Siècle d’or, c’est elle qui se bat contre la vile engeance de républicains, d’anarchistes, de mécréants, et de communistes qui ont souillé le pays.

Et tout à coup, Unamuno se met à parler. Il parle seul contre cette joie frénétique et unanime. Un homme seul, puisant dans sa conscience de philosophe et de poète des paradoxes le courage de braver le sentiment hégémonique d’un choeur d’hommes et de femmes  enchanté par la célébration de la fête et l’appétit de victoires. Et face au  slogan monstrueux de Millan Astray, Vive la mort !, repris à l’unisson par la foule du patio, il délivre la leçon la plus courageuse, la plus lucide de sa vie.

«  Je viens d’entendre un cri nécrophile et insensé : Vive la mort ! Et moi, qui ai passé ma vie à façonner des paradoxes qui soulevaient l’irritation de ceux qui ne les comprenaient pas, je dois vous dire en ma qualité d’expert que ce paradoxe barbare est pour moi répugnant… » Malgré les slogans qui fusent, « A bas les intellectuels, à bas l’intelligence », Unamuno poursuit :
« Vous vaincrez parce que vous avez plus de force brutale qu’il n’en faut, mais vous ne convaincrez pas … » Unamuno doit à l’intervention de la femme de Franco le fait de ne pas avoir été lynché sur place par cette foule à qui il a interdit de communier dans la vérité ultime recherchée par tous les fanatiques, la vérité de la conversion générale et le silence définitif des voix dissonantes…
C.C.