par Paule Pérez
Signer ou ne pas signer…ce formulaire qui donne droit à » l’utilisation du titre » de psychothérapeute, qui nous rappelle que « la carte n’est pas le territoire « , pas plus que le titre n’est l’exercice. Alors quoi ? Etrange nouveau concept d’acte de naissance aux allures d’oripeau avant même d’être porté, pour peu que l’anagramme » signer/singer » nous ait sauté aux yeux ? Titre, alias, avatar, ou plutôt cache-misère ?
Plus grave ou non, à chacun d’en juger : » signer » revient à créer une » chimère logique « , entre un désir personnel d’exercer auprès de personnes en demande, et une » psychothérapie d’Etat « .
Ceux qui signeront (même persuadés de faire oeuvre utile de l’intérieur), s’exposent à une navigation intérieure bien difficile du fait de l’incompatibilité entre ces deux logiques, dès lors que cette incompatibilité n’est pas symbolisable.
Dans ce contexte, qu’en est-il de la psychanalyse dans son voisinage et sa différance avec les psychothérapies ? Face à la pensée unique actuelle, nul doute qu’elle gagnera à mettre en avant sa pluralité et sa polyphonie intrinsèques, résultantes du « un par un », et qu’elle se garde bien d’acquiescer aux sirènes d’un rassemblement unitaire, qui s’avèrerait rapidement cacophonique. Ce que nous pouvons mobiliser est un langage » partageable » et non » commun « . La nuance est de taille.
Si les choses sont aujourd’hui trivialement « pliées » dans le cadre de la Santé publique, tenter de réagir dans l’urgence est voué à l’échec. Il nous reste à nous atteler à susciter patiemment une autre phase, autrement. La psychanalyse a traversé bien d’autres crises. Mais, c’est vivante qu’elle les a traversées, dans l’irrédentisme d’une anti-servitude.
N’est-ce pas à très forte partie que s’attaque Freud lorsqu’il affirme qu’elle n’a pas à être » la bonne à tout faire de la psychiatrie » révoquant en cela toute subordination ancillaire ?
Aujourd’hui pas davantage, la psychanalyse n’a à » servir » l’Assistance publique, ni les psychiatres ou les généralistes de ville.
La Médecine ?
Elle est un composant majeur du courant de » culture » ambiant, produit d’une idéologie ambiguë négociant entre pouvoir, coûts publics, productivité performance, et garantie, où s’entremêlent, dans une confusion opportune, puissance, course au succès, et bienfaisance sanitaire affichée auprès des populations.
Dans l’exigence à triompher des maladies, munie de ses batteries exploratoires, chirurgicales, pharmaceutiques, aurait-elle fini par croire possible d’annexer tout le champ mental ?
Avec l’assentiment de la Gouvernance mondiale, via l’OMS, elle s’est forgé ses outils et lignes rectrices, DSM/CIME/EBM, ces espérantos de la psychiatrie, homogènes avec ses représentations ultra-naturalistes de l’humain.
Et les médecins ?
Ceux qui, psychiatres ou non, exercent comme analystes en privé, gardent-ils un rapport avec la médecine, restent-ils inscrits comme médecins, avec numéro d’affiliation à la sécurité sociale et si oui, pourquoi?
Déclarent-ils les séances comme des » actes » ? Que pensent-ils du remboursement ?
Que pensent ceux qui exercent comme analystes en institution, où les psychanalystes, médecins ou non, ne sont plus remplacés ?
Sont-ils vraiment d’accord pour que la profession de » psychothérapeute » devienne » réglementée » ?
On n’a pas entendu un seul médecin en tant que médecin s’élever contre le fait que le texte d’Accoyer donnait en son temps au généraliste légitimité à agir en tant que psychothérapeute sans formation approfondie, au motif qu’il aurait fait un passage en psychiatrie pendant ses études, et sans autre expérience.
Qui se pose cette question : les médecins, surtout ceux qui pour eux-mêmes ont consulté un psy, n’auraient-ils pas été frappés par l’insolite qu’il y a, à ce que le système en marche vise à faire des psychologues et des psychothérapeutes des » auxiliaires de santé » à l’instar des podologues ou des kinésithérapeutes?
Ce questionnement concernant le rapport des médecins tant avec la psychothérapie qu’avec la psychanalyse, n’est pas exhaustif et déjà leur silence est troublant.
Par ailleurs, nous serions dans l’erreur si nous négligions de compter avec l’appui discret mais continu de ceux qui, au sein des instances de décision, publiques et privées, ont été nos patients – ou le sont encore, et sont des » amis invisibles » de l’analyse. Ayant mesuré ce qu’implique » l’autorisation » personnelle de l’analyste à exercer, ils ne seront que plus rassérénés de constater que notre action au collectif est cohérente avec la singularité de la cure dans le transfert. Ils sont à même de discerner ce qui paraît déroutant à « l’interlocuteur impartial », par exemple : que si la psychanalyse n’est pas une thérapie, il se peut que ses effets soient perçus par les patients comme « thérapeutiques « , ou que, si nous ne récusons pas que nous » prenons soin » d’eux, c’est différent du sens où un médecin doit » soigner » et si possible guérir, l’écart de sens étant énorme entre « avoir un corps » et « être un corps ».
De plus, leur quotidien baignant dans la complexité, ils ont assimilé à quel point la psychanalyse, elle non plus, n’est pas linéaire. Ces distinctions majeures et fines au cœur de leurs cures, pourraient-ils les avoir oubliées ?
Pourquoi nous en remettrions-nous à la servitude volontaire, en avalisant la doxa du « poids du nombre »? Cela conduirait à entériner exactement ce que nous contestons : la quête d’une efficacité directe, ciblée, mesurable » statistiquement » et rapide. Je parle ici avec une pesanteur qui s’impose, de la nécessité à harmoniser toute action avec l’esprit de la psychanalyse. Tenir une position peut pour nous résider en cela : faire entendre l’intérêt collectif qu’il y a à ce qu’elle soit, non pas tolérée, mais bel et bien perçue et acceptée comme un « lieu de sujets « , un espace extra-territorial à respecter, une pratique vivante. P.P.