Le yiddish comme un Golem

par Jean-Louis Mousset
Eleazar de Worms clôt son ouvrage par « je leur enseigne le Golem de la lettre ». Comment, dans un premier temps, pouvons nous comprendre Golem de la lettre ?

Il y a l’interprétation première des tableaux de lettres vocalisées servant à animer le Golem.

Mais ne pouvons-nous pas penser à cette transcription de l’allemand en caractères hébraïques : le yiddish ? Le yiddish c’est comme l’ allemand, l’ humour en plus.

D’où vient cet humour ? Grâce aux caractères hébraïques l’allemand va pouvoir être coloré. En effet les consonnes dans la tradition juive sont alliées à des usages liées aux proverbes issus de la Torah. D’où le yiddish comme passerelle vers l’autre côté, vers l’orient. D’où le fameux l’an prochain à Jérusalem. De plus le yiddish est la mamelouchen. Cette langue de la mère ne tarda pas à devenir la langue mère d’une intelligentsia pan-européenne de I’Atlantique à l’autre coté de l’Oural vers le Birobidjan. Une langue qui pendant un millénaire va permettre aux étudiants de parcourir l’Europe de Metz à Kiev.

Mais aussi de faire trébucher l’allemand et par là même de servir de trébuchet face aux murailles du logique et du rationnel pour introduire le witz [1]et la psychanalyse mais bien avant tout cela tout un imaginaire du shtetl. Un imaginaire dont Singer n’est que le témoin tardif d’un humour de résistance produit entre |e XIV° et XX° siècles. Bashevis Singer non comme conteur mais comme mémoire au sens de Wiesel . Et pour en revenir au trébuchement, qui claudique cher Singer ? Faire claudiquer l’allemand en posant des questions tels les interminables dialogues entre le schnorer, le rebele et le holzhändler[2]. Poser des questions, c’est déjà mettre en place une machine à claudiquer. Suspendre le temps afin de le discrétiser.

D’où la musique comme un escalier pour le musicien qui tombe du toit (Singer). La musique ou la mesure liées aux entiers. Le yiddish c’est la mesure contre les satrapes russes ou allemands liés à Aristote. La mesure est le terrain épistémologique de la physique, sans mesure, pas de physique, sans ces vilains quanta (Einstein), les lampes ne peuvent pas briller dans l’ultra-violet. De ce monde du saut, nous allons vers le limité (shadaï) des morceaux d’exponentiel sont aussi importants qu’une belle courbe. Le myriagone[3] aurait dû orienter Descartes vers la rectification et non vers le continu. Spinoza comme opticien et polisseur de verre savait le temps et la limite. C’est déjà la puissance du shadaï sur l’infini.

Jacob mesure avec son échelle ce qui le sépare du pardes. Enclore l’allemand dans les lettres hébraïques et cela par l’intermédiaire des tor, en anglais gates ou portails. Ceux-ci sont codés, ils ne sont pas 731 mais 22! Il s’ agit de modérer l’infini du saint Empire romain germanique. Le yiddish va permettre l’encerclement d’Aristote et le dépassement des éléments par les ondes, musique et lumière. Le Zohar fait-il retour contre Aristote ou au contraire, en tant que sefer venant après le golem de la lettre, est-il la coupure epistémologique nécessaire pour dépasser la notion d’élément?

En affirmant que « la lumière soit ! », le Zohar met en place une subversion de l’élément par la lumière. Cette révolution épistémologique trouvera son plein épanouissement dans les vilains quanta (une pierre tout un programme zybstejn : 5040 ]) nouvelle échelle de Yacoub le tordu, le boiteux, l’indirect, celui qui reçoit la bénédiction à la place de l’autre. Mais l’échelle elle-même pour les sephirot devient une discrète dialectique du manifeste et du non-manifeste, la flamme de la veilleuse éclairant par l’obscur (Haim Zafrani). De la même manière les golem ou golim ne permettent pas que les tableaux de combinaisons soient visibles comme dans Matrix, qui n’est qu’une pâle copie des 22 portails de Rava. Seul Worms indique l’immensité des megilot pour organiser le sable, de la même manière, l’ADN replié sur lui-même par les tensions quantiques des liaisons tel un golem en une hélice de lettres. Ainsi le yiddish, loin d’être un simple langage judéo-allemand est aussi une machine à penser. Les lettres mises en série produisent le monde.

Mais pour ceci, nous devons rappeler le rôle du chérubin spécial. Dans son livre sur le Golem, Moshe Idel[4] consacre un chapitre aux cabalistes de la France du Nord. Mais de quelle France s’agit-il? Nous sommes au XII°, XIII° dans une France qui se souvient de Charlemagne et autre Roland. D’où une coupure moins nette à cette époque entre la Francia occidentalis et l’autre, Francia orientalis. Ce cercle est don dans l’espace judéo-allemand. Ce groupe de rabbins étudie plus précisément la merkava.[5]

De plus il faut avoir Eleazar de Worms en point de mire comme rapporteur du golem de la lettre. Mais quelles lettres, quels seferim, livres ou chiffres, chiffres/lettres, de plus quelles grammaires, quels aleph-beith?

L’humain peut-il faire seul ce calcul du monde? Ne peut-il pas trouver un auxiliaire tel que Rava, avec crainte, l’a aperçu : « Retourne chez les pieux, la volte-face de la femme de Loth, avant l’anéantissement ». Mais cet auxiliaire arrive, et quelle arrivée sur une sorte de complexe de constellations (Lion, Aigle, Taureau, Dragon). Le tout est uni par des éclairs gigantesques, autrement dit de puissants champs électromagnétiques, en un mot une créature des temps d’Enoch !

Mais pour trouver l’espace d’un shaddaï, nous parlerons plus simplement de lumière. Pourquoi réduire ces champs à une lumière? Il s’agit de re-venir vers la voix « Ils virent des voix » Nous ne faisons que descendre l’échelle des sephirot. Nous passons des 236 parsanges de la nuque de I’Eternel, à la possibilité de créer par le mot un mur de lumière, une colonne de lumière, des matrices et des cylindres de données. Mais le plus curieux, c’est que la lumière est avant les luminaires. Evidement, ceci paraît étrange, mais après tout sur une simple chandelle, c’est la zone obscure qui crée la zone bleue puis la zone blanche. Nous savons aujourd’hui que I’essentiel des radiations est invisible. Cette lumière émanant des sephirot peut-être non seulement sombre mais lourde, lourde des luminaires, dont notre soleil. Cette familiarité et pourtant étrangeté va permettre à Einstein d’imaginer tel un lutin malicieux chevaucher un rayon lumineux.

Sans subversion par la lettre hébraïque de l’allemand, il n’est pas possible de laisser sa place au conte, au compté (Sefer Yetsirah). Et d’où vient cette intuition des histoires de Feynman. A l’allemand calculant avec des chiffres, le yiddish propose les lettres comme chiffres.

Cantor propose de classer les infinis en aleph afin de réaliser un shadaï de la magie grecque de l’infini. Ses contemporains dirent que Cantor devint fou avec ces aleph, mais n’était-il pas entré dans un des pardes par effraction? Le mathématicien mettait en place le calcul par les lettres rejoignant le grand Eléazar de Worms. Mais aussi cette mesure des infinis va à l’encontre de la prétention des empires AEIOU[6], devise de l’empire autrichien, à la suite du pape et du Saint-Empire romain germanique.

Mesure non pas au sens aristotélicien, mais bien au sens de l’échelle séfirotique à chaque ordre sa mesure un univers tel une gigantesque éponge de Menger. Ceci nous conduit vers le temps du calcul en tant que ruse, des artefacts d’Enoch. La tour de Babel est le prototype de ces temps, temps de la destruction du langage afin de mettre fin à cet assaut du ciel. D’où modérer la magie de l’infini grec par cette langue particulière qu’est le yiddish.

En un mot en perdant le yiddish nous avons perdu le passage des mers et des déserts de la Chine à Aix-la-Chapelle, le chemin de la soie et de l’éléphant.

La différence fondamentale entre Aristote et la kabbale c’est la lumière. Aristote a besoin des éléments, la bougie suffit à la kabbale. A partir de la lumière sombre ou de la lumière lourde portant en elle les luminaires, elle crée le monde. Ainsi nous sommes dans un monisme idéel à la manière de Husserl. Le flux des vécus n’est que la lumière descendant des constellations entre autres. Ainsi il y a une instance matérielle, la lumière distribuant tous les éléments, le récit des jours n’est que la conséquence du «bara Or».[7]

J.-L.M.

 

[1] La plaisanterie

[2] Marchand de bois

[3] polygone de 10000 côtés.

[4] S’agit-il de lui ?

[5] Le char céleste dans la vision d’Ezechiel qui inspira de nombreux mystiques

[6] acronyme usité par les Habsbourg.

[7] Créa la lumière

 

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