Sommaire numéro 35

Editorial
Radicalisme : Mal nommer les choses…
Paule Pérez

Kraus et Daesh
Claude Corman

Le réel de l’image du corps
De Cézanne à Bacon
Roland Meyer

Mémoire et Psychanalyse
Entretiens entre Paule Pérez et Daniel Gostain (vidéos)

Charade : Une page musicale
Vincent Israël-Jost

Editorial : Radicalisme – Mal nommer les choses…

“Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde”
Albert Camus.

L’assertion de Camus n’a peut-être jamais été aussi pertinente qu’aujourd’hui, à propos d’un terme employé tous les jours.
Et le dévoiement de son sens, en effet, “ajoute au malheur du monde”.
Il s’agit du mot “radical” ou “radicalité”.
Son étymologie est “racine”, les dictionnaires précisant qu’il renvoie à l’origine et à l’essence d’une chose.
Ce qui dans notre actualité est dénommé “Islamisme radical” n’est ni objectivement ni univoquement un retour à la racine et/ou à l’essence de son texte sacré, le Coran. Si pour certains celà en est devenu une lecture, celle-ci alors serait bien restreinte et superficielle, comme tout niveau littéral de lecture, qui ratatine un texte et ramène la passion ou la soumission envers Dieu, à la simple violence et cruauté “fanatique’’. Rabattement de l’esprit sur la lettre, équivalant à une autorisation à transgresser l’interdit du meurtre et équivalant à une jouissance qui se métabolise en suicide actif ou passif.

On a vu ça au cours des siècles, et les peuples en ont payé le prix fort. Devrait-on y assister encore?

Comme tous les textes fondateurs, voire sacrés, le Coran fait bien l’objet de commentaires éclairés, interprétations polysémiques donc polémiques et divergentes. L’exemple le plus éminent est peut-être celui du pilier qu’en est le “djihad”, guerre sainte qui pour certains est métaphoriquement l’effort que chaque fidèle fait sur soi-même, tandis que pour les autres il serait au sens littéral la conversion imposée au monde par la guerre. Lectures opposées que j’ai apprises au cours d’arabe lorsque j’étais enfant dans mon pays natal, la Tunisie : Chaque enfant peut donc comprendre. De surcroît, il est clair que tout retour à l’origine proprement dite est impossible, voire qu’une telle tentative serait déraison.

C’est là juste une opinion, de ceux qui s’en réclament, c’est-à-dire un point de vue a minima réfutable, et au pire, erroné. Et de toute façon, mortifère. De quel retour à une interprétation unique des textes et à l’application littérale d’injonctions édictées à la racine, d’un djihad originel, nous parlerait-on, quand sont utilisées des armes déflagratrices contemporaines?
On a assez parlé de ces errances et autres anachronismes.

De surcroît l’Islam, comme toutes les grandes religions, n’est pas monolithique. Il est “divisé” entre courants spirituels, entre sunnisme et chiisme. Et quasiment “à ses racines” il ne peut être vu comme univoque et uni dans la totalité de ses rapports à la religion et de ses organisations. Et si les branches peuvent s’accorder plus ou moins sur le projet de convertir le monde, on ne voit pas comment elles s’accorderaient sur celui de tuer et d’assassiner à l’aveugle, risquant de tuer par là leurs propres fidèles.

Aussi nous en induirons que si certains qui se disent non pas musulmans, mais islamistes radicaux, persuadés qu’ils sont de détenir une vérité sur l’origine, la racine de l’Islam, nous ne pouvons qu’en faire le constat: qu’ils se désignent eux-mêmes comme islamistes radicaux. “Radicaux” sans nous. Car pour nous ce sont juste des extrêmistes. Pourquoi devrions-nous adopter leur vocable, leur autodénomination, qui dans une déformation abusive de la langue, confèrerait un certain lustre à des assassins?

Il est grave que par un curieux mimétisme similaire à de “l’identification – langagière – à l’agresseur” nous ayons avalé et avalisé sans recul ce vocable, sans le traverser par un minimum de réflexion critique.
Un terme est apparu, “Islam radical”, et il a été répété sans donner lieu à beaucoup de commentaires terminologiques, alors qu’on se souvient, par exemple, de tous les commentaires, en son temps, autour du terme “gauchiste”, ou d’autres…
Adopter cette dénomination des extrêmistes a, on le voit, un effet “performatif”, aussi le risque est grand qu’on finisse par penser collectivement que cette religiosité tueuse aurait un caractère, disons, sympathique, moral, voire romantique – et voila, les mots fabriquent des jeunes en quête de sens…

La mémoire politique de l’Europe y est qu’on le veuille ou non, sollicitée, suscitée, dans un écho lointain. En effet, “radical” résonne avec la dénomination d’entités politiques qui se sont imposées des remaniements, tel justement le Parti radical, qui a effectué au fil des décennies un certain nombre d’aggiornamentos. Aujourd’hui, le Parti radical est un parti modéré. Même s’il s’est éloigné de ses racines nettement à gauche, il conserve sa marque démocratique qui maintien le mot “radical” dans une connotation respectable. Par un amalgame plutôt inconscient, le risque est grand que ces acteurs en se réclamant d’un Islamisme “radical”, se parent d’une image quand même un peu de gauche, sympatique comme la jeunesse… qui aurait droit à l’erreur. Mais ce n’est pas Mai 68, qui n’a produit ni Ozar ha Tora, ni Charlie hebdo, ni le Bataclan, ni l’Hyper casher, etc.

De plus n’est-ce pas faire insulte à des concitoyens musulmans qui sont a minima désolés par cette image d’une religion qui présente comme les autres monothéismes que nous connaissons, tant d’aspects théologiques, historiques et culturels de tolérance, d’humanisme et de fraternité? Toutes les religions, jeunes ou moins jeunes ont connu ou connaissent des phases de dérapages et d’extrêmisme. L’Islamisme radical n’est pas un parti politique constitué, ni un terme déposé. La généralisation de l’emploi de l’expression en est donc d’autant plus étrange et les linguistes en feront peut-être avec les sociologues un objet d’étude approfondie. Ce qui est mal nommé Islamisme radical est bien un extrêmisme.

Nous en appelons donc à ce que cette appellation “Islamisme radical” cesse d’être employée benoitement, qu’on en mesure le risque sous-jacent. Qu’on arrête d’ajouter ainsi au malheur du monde. Et que chaque commentateur, chaque organe politique, chaque témoin, le dénomme à sa manière selon sa perception.

P.P.

Kraus et Daesh

Je n’ai aucune idée de Hitler. C’est ainsi que Karl Kraus débutait sa troisième nuit de la Walpurgis en Mai 1933.

Eh bien, aujourd’hui je n’ai aucune idée de Daesh, de l’islamisme noir, des commanditaires et des exécutants des tueries de Paris. Car, comme le notait Kraus à propos du nazisme, l’esprit est en quelque sorte sidéré, anéanti par tant de monumentale, de prodigieuse bêtise. A quoi cela sert-il, d’avoir de l’esprit, de mesurer, de peser, de comprendre, quand l’idiotie, se mêlant de flirter avec la gloire, s’en va répandre, avec obstination et professionnalisme, la mort ? Et tout comme le troisième Reich ne pouvait être admiré, compris ou servi que par l’alliance de la plus grande déconfiture de l’esprit et l’emballement dionysiaque lié à cette même déconfiture, on ne peut guère comprendre Daesh, ce monstre produit par le sommeil de la raison. Je n’ai aucune idée de Daesh et cela me rend malade, car on me dit que nous sommes en guerre. Et pour me croire en guerre, pour faire front ou sentir en moi couler la grande colère qui nomme l’ennemi, cette divine haine qui anime les Troyens et les Atrides dans l’Iliade, j’ai besoin de connaître l’ennemi. Non pas que je sois devenu si naïf, si aveugle, cela m’arrive, mais enfin là, aujourd’hui, l’ennemi s’exprime tant à découvert et si vaniteusement fort que seuls les sourds et les êtres ruinés des asiles ne l’entendent pas. J’entends donc ou crois entendre. Mais qu’est-ce que j’entends ?

Comme tous les idiots, les islamistes raffolent du cinéma ! Ils adorent les pathétiques scènes d’hystérie collective et les montages tapageurs et apocalyptiques dans lesquels ils s’emploient à rendre le monde semblable au petit coin de désert où ils logent ! Et afin de réduire l’univers aux maigres proportions de leur paysage, ils rêvent en grandes séquences colorisées, que la chaleur et le feu suffoquent et brûlent les mécréants et les apostats, que les villes flambent, que les fleuves s’embrasent, que les montagnes sont abrasées par le souffle sismique du Prophète. Comment pourrait-on avoir une idée de Daesh, du djihadisme incandescent ? Tout cela n’est que farce, kitsch et songe de corbeau ! Et, à l’instar de Goebbels qui, s’imaginant qu’il allait métamorphoser le monde germain, lui insuffler un nouveau génie, une nouvelle inspiration artistique véritablement prométhéenne ne parvint au bout du compte qu’à retirer aux Juifs le droit à la parole, vociférant à l’unisson des autres frénétiques du parti nazi : Réveille toi, Allemagne ! Crève, juiverie ! les bâtisseurs d’un autre monde islamiste peinent à dire autre chose que « Dieu est grand ! Crève, vieille Europe enjuivée, dépravée, inutile, alcoolique». Crève, c’est là tout leur lexique, leur mot le plus saint et vénérable. Pour cela, ils se filment comme des crétins et des aliénés, entassés dans des camions militaires, mitraillettes levées au Ciel, promenant dans les airs leur fanion noir, étendard de leurs nouvelles Lumières, et puis aussitôt après, baisant la terre de leurs prières, agenouillés devant l’Eternel, leur Gourou céleste se délectant de sacrifices humains, de décapitations, de crémations, buvant à pleines gorgées la sueur effrayée des victimes.

Mais comment diable pourrais-je avoir une idée d’un tel ennemi ? Il n’est rien, une absurdité criminelle qui suspend le cours de la pensée, la sidère, la broie. Car enfin, peuple de France, humanité européenne, vous n’êtes pas nés d’hier, vous avez connu des guerres et des guerres, et des atrocités, et des divisions, vous vous êtes sabordés un nombre incalculable de fois, vous avez poussé dans les abattoirs géants de la grande guerre la jeunesse dont aujourd’hui et à raison vous portez partout le deuil, un deuil tricolore, un deuil sans crêpes noirs.

Vous n’êtes pas nés d’hier, écrivains, philosophes, savants, hommes politiques, ouvriers et fonctionnaires de l’Europe, vous avez labouré les terres chrétiennes et semé des Renaissances, vous avez mis au Ciel, en plus belle place, la connaissance humaine, la raison humaine, vous avez proclamé le droit des peuples à la souveraineté , vous avez dit la fraternité, vous avez dit la liberté, vous avez dit l’égalité, vous vous êtes déchirés, vous avez coupé l’Europe en deux systèmes ennemis, se faisant face et se menaçant, pareillement héritiers de Goethe, de Shakespeare et de Tolstoï, mais vous avez su démonter pierre après pierre le mur de Berlin et façonné une maison commune. O une maison bien imparfaite, dont les architectes les plus subtils et capés se gaussent, éblouis par leur intelligence, relevant les mille malfaçons, des fondations à la toiture ! On t’accuse même, ô, vieille humanité européenne, dans tes propres rangs, par la bouche de tes propres enfants de servir les intérêts du grand Satan, d’être devenue la putain du Capital, la catin flambeuse et délurée qui se vautre dans la consommation, dans ses frontières, égoïste, confinée, frileuse, offrant son corps aux hommes de Schengen et repoussant les apatrides qui la désirent pourtant si ardemment. On t’accuse d’avoir tourné le dos à tes idéaux universels, d’être devenue boutiquière et avaricieuse, de savoir compter et de ne plus savoir ni aimer ni rêver, d’être si vieille et pourtant si bêtement ingénue et capricieuse.

Mais enfin, quoiqu’en pensent ces procureurs aux mains pures, malgré tes insuffisances, malgré tes bassesses, o vieille humanité européenne, tu mérites tout de même un peu plus de tendresse, un peu plus de considération que cet ennemi sans tête au fanion noir, cet ennemi dont nous ne voulons rien savoir, car il n’y a rien à savoir qui ne nous rapetisse aussitôt, qui ne nous éveille sans délai au seul désir de la vengeance, qui ne nous enrôle honteusement dans sa passion abjecte de la mort, dans la jouissance et la délectation de sa future extermination. Tu as autre chose à faire qu’abîmer ce qui te reste de vision dans la lecture des subtilités théologiques et des affrontements sectaires que d’érudits exégètes des religions déploient sous tes yeux fatigués et incurieux. Car enfin, nul n’est besoin d’être versé dans la science des Ecritures pour saisir que l’islamisme contemporain n’a pas choisi la voie mystique et musicale du soufisme pour se rapprocher de Dieu mais bien celle du cinéma pétaradant et de la plus abjecte complaisance envers un Dieu encagoulé, ceint d’explosifs, adorateur de vierges à poil qu’il garde dans son Harem céleste, à la disposition des futurs sacrifiés. Le pape François, pour une fois le plus martial et viril des chrétiens, il en faut tout de même un par les temps qui courent , tant on voit généralement ceux-ci effrayés de dire un mot de trop, un mot maladroit, une formule qui blesserait la religion historiquement rivale, mais religion sœur depuis que le socialisme du siècle passé a dangereusement concurrencé le culte marial chez les prolétaires, le pape lui-même a résumé le point de vue de ceux qui peuvent encore croire honnêtement en Dieu en quelques mots : Quiconque se sert du nom de Dieu pour accomplir de tels crimes, commet un terrible blasphème.

On espère que les recteurs des mosquées et la majorité des imams français et européens vont saisir au bon les recommandations lucides du chef de la Chrétienté et excommunier jusqu’à la fin des temps les tueurs du Bataclan ou de la rue de Charonne. Ne sont-ils pas les mieux placés et les seuls fondés à rejeter hors de leur Communauté ces brutes sanguinaires armées de Kalachnikov, s’imaginant tuer par fraternité et par foi, fauchant les unes après les autres les vies de tant de jeunes hommes, de tant de jeunes femmes ?
Nous voilà donc en guerre, en état d’urgence, avec le sentiment étrange de devoir mener la guerre à un ennemi grotesque à l’extérieur, je sais déjà que les livres d’Histoire futurs feront à peine mention du Califat de Messieurs Zarkaoui et Abou Bakr Bagdadi, mais insaisissable et volatile à l’intérieur, prêt à transformer en délinquants célestes les plus pâles et maladives des crapules. Et de grâce, cessez de pleurnicher sur les injustices de l’Histoire, les horreurs de la colonisation ou les crimes de Napoléon. Oui, nous avons tout cela en partage, dorénavant, comme l’Église a dans ses bagages l’Inquisition et l’Allemagne son Führer, tout comme l’humanité entière, vous comme moi, ne peut s’innocenter ou tout au moins oublier les bombes atomiques d’Iroshima et de Nagasaki ni recouvrir Auschwitz d’un linceul d’amnésie. Vous êtes ridicules et indécents à imaginer que tous ces morts du Boulevard Voltaire dont vous pleurez à la va-vite la triste destinée servent opportunément les intérêts des nantis et des exploiteurs qui n’auraient pas trouvé d’autre alternative à la poursuite de leur règne que d’attiser l’islamophobie populaire. Consternant suicide de la pensée!

Ce qui nous déchire aujourd’hui, nous coupe presque le souffle, c’est encore une fois l’ineffable indigence de l’ennemi, non pas son obscurantisme, non pas sa superstition, cela encore on pourrait au regard des tristesses du spectacle contemporain en prendre une petite part, non ce qui paralyse notre propre réactivité politique et humaine, c’est que nous avons affaire au néant, au néant de la parole, au néant spirituel, à un néant certes gesticulateur et morbide, à un néant assurément dangereux, haineux, et vide au point d’en devenir héroïque, mais qui n’en reste pas moins, s’exposât-il rageusement à la publicité, un néant tout court. Et cette triste prose du néant, cette calamiteuse prose faite de deux à trois mots, répétés sur tous les tons, déclamés, criés, hurlés, nous éloigne du monde , nous donne une furieuse envie de quitter le monde. Quand le monde devient l’espace presque exclusif de la confrontation avec une aussi indicible connerie, comment les plus jeunes d’entre nous y trouveraient-ils leurs places ? N’est-il pas vrai que l’on prend peu à peu le visage de l’adversaire et tout comme Hector puise dans le courage d’Achille sa force et son énergie guerrière, ne risquons nous pas de nous transformer symétriquement en chiens de garde d’une civilisation aveuglée par son esprit de vengeance, oubliant ses nuances et ses subtilités et se rapprochant en cela de la barbarie qu’elle combat.

Mais enfin, nous n’avons plus vraiment le choix aujourd’hui.
Sauf à attendre, tels les benêts et les illuminés qui confondent l’orage de grêle et le jet d’une douche, que de nouveaux matamores en tailleur noir et à la chevelure blonde, brandissant le glaive de l’Occident vers leur ciel national, offrent aux désespérances et aux impatiences populaires des cibles à haïr et jettent indifféremment dans la commune fosse des réprouvés le fanatique et l’apatride, l’islamiste et le musulman, le fou d’Allah et le clandestin, nous n’avons pas d’autre choix que d’équilibrer aujourd’hui la générosité par la rigueur, l’hospitalité par la fermeté et soutenir l’impitoyable réponse promise dont l’exécutif français remplit aujourd’hui ses discours et ses condoléances au pays endeuillé.
Vite, qu’une génération passe et rendons-nous à autre chose ! De grâce, vite et fût-ce après notre mort !..

Claude Corman
Le 16/11/2015

Le réel de l’image du corps

Le réel de l’image du corps
De Cézanne à Bacon

« La nature est la passion que connut la véhémence de “Je suis“ impossible. » 1
Pascal Quignard

Prologue

Ce que la peinture nous apprend de l’espace, c’est son réel.

Du moins est-ce la thèse que je vais tenter de soutenir devant vous ce soir, en remerciant Marie-Jeanne Sala pour la confiance qu’elle me fait en m’invitant à intervenir dans le cadre de l’enseignement d’accueil de notre école qui, cette année, porte le titre de « S’orienter avec le réel, de l’art prendre de la graine ». C’est à la recherche de cette graine-là que je suis parti.

Je tiens au préalable à préciser les deux écueils à éviter.
Il ne s’agira nullement ici, premier écueil, de quelque chose qui, de près ou de loin, pourrait ressembler à une psychobiographie des deux peintres qui vont m’occuper, Cézanne et Bacon ; et encore moins, second écueil, d’une “psycho-analyse“ des tableaux sur lesquels, à l’occasion, je serai amené à prendre appui. Au contraire, choisir de me laisser faire, de me laisser questionner par ces œuvres d’art, ce n’est pas prétendre à un savoir quelconque sur elles, mais c’est au contraire me mettre à l’écoute de ce qu’elles peuvent me dire. C’est donc bien occuper une place d’analyste — mais en tant que, dans le savoir, tout analyste est fondamentalement un analysant.

Le chemin que je vous propose de parcourir commencera par un bref rappel des appuis précédemment élaborés. Je tâcherai, ensuite, d’aborder la subversion cézanienne, que Picasso qualifiait d’“inquiétude“2 — cette inquiétude qui, selon les dires de Picasso lui-même, aura fait de Cézanne son unique maître. Et c’est cette inquiétude que je suivrai jusque dans sa reprise baconienne, aussi dissemblables que peuvent apparaître ces deux peintres. Je terminerai en proposant quelques petites trouvailles que cet art m’aura peut-être donné l’occasion de faire.

I. Appuis antérieurs

Mes appuis sont au nombre de trois.

a) Le Fort-Da3, pour commencer, en ce qu’il nous offre une porte d’entrée évidente vers ce que pourrait être la topologie en attente chez Freud.
Chacun le sait, il s’agit d’un jeu inventé par le petit-fils de Freud en réaction au départ de sa mère. Il utilise une bobine qu’il lance par-dessus son berceau ; il lâche alors un de ses premiers signifiants : “O.O.O.“, qui est entendu comme “Fort“, ce qui veut dire “partie“ et, lorsque le jeu est complet et que la bobine réapparaît, il dit “Da“, ce qui veut dire “là, revenue“. Il y a dans le texte de Freud un point que les innombrables commentateurs de ce jeu ne reprennent que très rarement. Ce point modifie la topologie implicite à ce jeu. En effet, lorsque cet enfant joue, il se trouve non pas à l’intérieur du berceau, comme lorsque sa mère est là, mais bien à l’extérieur, à l’endroit qu’occuperait sa mère si elle était “là“. Et lorsqu’il lance la bobine en disant “partie“, il la lance de l’extérieur, où il se trouve, dans le berceau — et non pas du berceau au dehors. Ce n’est pas difficile à interpréter. Lorsque la mère s’absente, c’est l’enfant lui-même qui est “parti“ ! Extraordinaire topologie où l’enfant n’est que de là où il est vu.
Ce n’est pas tout. À peu près au même moment, et comme par hasard, cet enfant a un autre jeu à sa disposition. En se plaçant devant un miroir et en se baissant pour faire disparaître son image, il dit là aussi “Fort“ — parti. Avec son image, c’est lui qui est parti comme lors du départ de sa mère. Ce qui relie très fortement l’image de soi du petit enfant à la présence de cet Autre qu’est la “mère à l’occasion“, comme s’exprime Lacan.

b) Mon second point d’appui sera évidemment le fameux “Stade du miroir“4 de Jacques Lacan que tout le monde connaît. Je rappellerai très succinctement le dispositif de ce que j’appelle plutôt un “moment“ pour tenter d’y insérer ensuite deux ajouts, qui nous seront utiles lorsque nous aborderons plus directement la peinture.
L’enfant mis au miroir par Henri Wallon a le même âge que le petit fils de Freud, ils ont tous deux entre 6 et 18 mois. Porté par un adulte tutélaire et mis face à son image au miroir, l’enfant jubile : il anticipe l’unification de son corps en s’y reconnaissant. Mais, pour avoir la confirmation de cette reconnaissance, il doit se retourner vers l’adulte.

Nous avons donc à faire, là aussi, à une topologie subjective, qu’il est tout à fait essentiel de dégager dès le moment de son apparition. Car c’est précisément à ce “moment“ que se met en place la structure borroméenne de l’espace, structure qui n’est en rien naturelle. Dans la situation décrite par Wallon et Lacan, on trouve évidemment la dimension imaginaire, avec une image spéculaire que le plan du miroir offre en arrière dans un espace virtuel. Il y a aussi la dimension symbolique avec ce lieu de l’Autre vers lequel se retourne l’enfant, dimension symbolique parce que c’est de ce lieu-là que lui provient la nomination, condition de sa propre reconnaissance ; mais, comme on l’a vu avec le Fort-Da, c’est un acquis encore bien fragile, l’enfant disparaissant avec le départ de la mère. Il est donc possible de discerner dès ce moment les dimensions imaginaire et symbolique. Mais on peut tout aussi facilement y repérer une dimension supplémentaire, souvent omise, la dimension réelle. Au moment où l’enfant se retourne vers l’adulte, il cesse de voir son image et, sans pour autant pouvoir encore regarder l’adulte, il séjourne dans un lieu qui peut donner le vertige. Aussi fugace que soit cet instant, il est essentiel, car il structure la pulsion scopique autour de ce que j’appelle la “macula“5, cet instant de cécité qui ferme l’œil, si j’ose dire, le bordant ainsi comme zone érogène. Cette fermeture de la zone érogène, par retour de la pulsion, imprime sur le corps propre les premiers signifiants qui, comme le dit Lacan, “sont effacement de la trace“6 laissée par la chute de l’objet pulsionnel, dit objet (a). Fermeture qui peut ne pas se produire. J’en donnerai ici une première et rapide illustration : que sont, en effet, ces ampoules qui pendent dans les toiles de Bacon, si ce n’est justement des « yeux sans paupières »7 ?

À ces premières remarques il faut en ajouter deux autres.
Tout d’abord, le lieu de la nomination se dédouble entre celui qui nomme, la mère à l’occasion, et le lieu d’où celui-là nomme. Cette distinction structurale est importante, car elle distingue entre ce qui sera l’impact de la nomination sur l’enfant, comme fonction phallique de la langue, c’est-à-dire cette fonction qui reconnaît à l’enfant une valeur désirable pour l’autre, et le trou dans l’Autre qui le fonde à prendre la parole pour nommer l’enfant. C’est ce trou qui correspond au Nom-du-Père. Mine de rien, et dès le miroir, on retrouve ce que Lacan a théorisé, bien plus tard, dans son schéma8, à propos de la psychose de Schreber.

Ensuite, et d’une façon tout à fait éclairante pour ce qui en est de la peinture, il faut adjoindre à cette structuration borroméenne du stade du miroir ce que D. W. Winnicott9 a dégagé comme premier miroir : ce premier miroir de l’enfant, non spéculaire, c’est le visage de la mère. Ce qu’il regarde en voyant sa mère, c’est une première image de lui ; cette première image est certes sans reconnaissance, mais elle assure la présence de quelque chose qui en peinture s’appelle le fond. Or, cette question des rapports entre la figure et le fond est justement une de ces questions qui font l’inquiétude que partagent Cézanne et Bacon.

c) À ces deux points d’appui, il faut en ajouter un troisième, c’est-à-dire la perspective linéaire ou centrale théorisée au XVe siècle dans l’Italie de la Renaissance.

J’en rappellerai très rapidement ici les principaux traits.
La perspective, qui règnera en maître absolu dans la peinture occidentale jusqu’à Cézanne précisément, consiste à organiser, sur une surface à deux dimensions, l’espace subjectif, qui lui en a trois. L’espace subjectif, en effet, ajoute aux deux dimensions concrètes de la toile un plan virtuel, à l’arrière de la toile, dont la mesure exacte sera déterminée par la distance du regardeur à la toile. Ce dispositif définira trois points essentiels. Nous avons, d’une part, le point à l’infini dans la dimension symbolique de l’au-delà du miroir ; nous avons, d’autre part, le point marquant l’intersection de la ligne, reliant le regardeur à ce point à l’infini, avec la surface de la toile. Ce nouveau point inscrit le sujet au niveau même de la toile. Ce point de fuite, je l’appelle point du sujet. Enfin, nous avons le point de distance qui marque la distance réelle qui sépare le regardeur de la toile. Ces trois points reprennent la même structure que celle dégagée au miroir, mais en y modifiant quelque chose d’absolument essentiel. Alors qu’au miroir, il n’y a pas de point de fuite parce qu’il n’y a pas de point à l’infini, et que le sujet pour s’inscrire doit se retourner, dans une toile perspective, au contraire, le sujet est représenté sur la toile par le point du sujet, et n’a plus besoin de se retourner ; ainsi, l’espace change d’orientation, le lieu de la nomination ne provient plus de derrière, comme ce que Pascal appelait ces « pensées de derrière la tête »10, mais d’un point situé à la fois face au regardeur, mais en arrière du plan de la toile : sur le fond, justement. Ainsi, la figure apparaît pour un sujet sur le fondement de ce qu’il y a derrière elle, si et seulement si, le sujet a pu acquiescer pour son compte à ce que le miroir, dans ses trois moments, inscrit.

Il y a autre chose encore à souligner dans ce qui fût la révolution picturale apportée par la Renaissance.
La perspective succède aux images médiévales. Ces images étaient caractérisées par la présence de divers objets ayant chacun son lieu propre sur une même toile mais sans unification de l’espace d’inscription qu’ils partageaient. Le regardeur se trouvait en présence d’objets simplement contiguës, c’est-à-dire d’une succession d’énoncés sans sujet de l’énonciation, si ce n’est, sans doute, la présence divine elle-même. Cette présence extérieure au tableau réduisait celui-ci à une simple succession de métonymies.

À ce dispositif, la perspective en substituera un autre, dans lequel tous les objets ont maintenant leur lieu dans un espace, unifié et homogène. L’ensemble des énoncés constituent toujours un axe, l’axe métonymique des énoncés, parallèle au plan du tableau. Mais cette unification de l’espace permet à l’homme moderne de prendre directement sa place sur la toile ; et c’est précisément l’axe métaphorique de l’énonciation, perpendiculaire cette fois à la toile et représenté par la ligne de fuite. L’adresse est dès lors incluse dans le récit.
Ce dispositif remplace ainsi un espace médiéval, qu’on pourrait définir comme agrégatif, par un nouvel espace qu’on pourrait à son tour définir comme narratif.

Ajoutons une dernière remarque concernant ce nouvel espace. Sa structuration, par ce qu’on pourrait appeler, par un petit coup de force, les “coordonnées cartésiennes“ du plan, permettra l’accession à une singulière opération, fondamentale, et qui sera ce qu’aussi bien Cézanne que Bacon ne cesseront d’interroger. En effet, leur passion à tous deux était de questionner, avec inquiétude, les rapports entre la figure et le fond. Cette inquiétude apporte avec elle un questionnement notable : l’harmonie entre figure et fond ne serait-elle possible que grâce à un oubli ? L’oubli par le regard de la surface matérielle de la toile, comme l’enfant oublie l’espace réel où il se trouve, lorsqu’il se retourne ? Et si toute la peinture moderne, après l’apparition du sujet moderne, celui de l’énonciation, restait préoccupée par le réel de la toile, une fois que son oubli serait tout d’un coup devenu impossible ?

II. La subversion de Cézanne

En peinture, le réel de l’espace se donne à percevoir dans toute sa violence ; ainsi la toile semble tout d’un coup si fragile, qu’il s’avère impossible de l’oublier alors qu’elle aurait dû au contraire soutenir le sujet.
Ainsi est-ce ce réel-là, et son impossible oubli, qui constitue, à mon sens, la passion de la peinture à partir du XIXe siècle, en commençant bien sûr par Cézanne.

Cézanne quitte l’espace narratif issu de la perspective. C’est même le seul point qui intéressait Bacon chez Cézanne, en particulier dans les “Baigneuses“. Il quitte cet espace pour le questionner. N’oublions pas qu’il est le contemporain du Freud de la Traumdeutung. Comme lui, peut-être, il cherchait les conditions de la narrativité. Comme s’il avait tenu, évidemment sans le savoir, à répondre par avance à l’injonction freudienne, caractéristique de l’homme moderne : “Soll Ich war, soll Ich werden“11, soit “là où c’était que j’advienne“.

Cézanne ne nous dit-il pas : « Je vous dois la vérité en peinture et je vous la dirai »12 ?

Quitter l’espace narratif, c’est quitter l’ordre qu’assurait, depuis la Renaissance, les coordonnées cartésiennes des deux axes sémiotiques ; c’est aussi renoncer à l’appui d’un fond duquel surgissait tranquillement le motif.
Quitter l’espace narratif signifie que toute l’attention se concentrera dorénavant, non plus sur le récit, mais sur ce que Cézanne lui-même appelait “le motif“ : ce devant quoi se trouve mis le peintre. C’est le surgissement de ce motif dans l’espace de la toile qui constitue l’événement. Comme le dit un peintre contemporain, Gérard Garrouste, c’est la peinture qui fait le peintre13.
C’est cela la subversion cézanienne : la figure, dans l’événement de son surgissement, fonde le fond duquel elle se détache. Le fond se relève alors derrière un motif dont seule la structure assurera à l’ensemble une relative consistance. Mais, avec le fond se relevant à l’arrière, se produit aussi l’abandon de l’horizon comme point d’appui du sujet ; le motif est projeté vers l’avant ; et, en unifiant non plus l’espace, mais le matériau concret de la toile avec le matériau du motif, ce motif semble inclure, d’un même mouvement, l’espace où se trouve le regardeur. Ce qui est vrai tant pour les portraits que pour la nature dans les fameuses “Montagnes Sainte Victoire“.

a) Étudions un moment l’autoportrait intitulé “Portrait de Paul Cézanne“ (1862-1864, New-York, collection particulière).  CLIQUER ICI SVP

Deux points tout à fait remarquables nous arrêtent.

Premièrement, si l’œil gauche est torve, je ne considère pas, contrairement à Derrida14, que cela renvoie à la mort, mais au contraire à l’espace entre la vue et l’ouïe, puisque c’est à cet œil-là, et pas à l’autre, qu’est appendu la seule oreille représentée, la gauche : il n’y a pas d’oreille du côté droit ! Comme si Cézanne cherchait à peindre l’espace entre l’oreille et l’œil, entre le regard et la voix : c’est, me semble-t-il, à cet endroit qu’on peut repérer chez Cézanne ce qui sera aussi la passion de Bacon : le cri.

Deuxièmement, le regard semble bigler. Or ce n’est absolument pas vrai. Si l’on accepte, non de regarder le personnage droit dans les yeux, mais au contraire de se laisser regarder par lui, alors surgit cette inoubliable sensation de regarder, activement, mais par derrière nos propres yeux, comme si notre regard ne trouvait son appui que dans ce qui se trouve derrière nous, ce lieu qui nous est connu maintenant, le lieu symbolique de la nomination qu’à mis en place le stade du miroir.

Et si on tente d’établir un lien, même ténu et fragile, entre ces deux considérations, entre ce que Cézanne appelle avant Bacon des “sensations“, alors cette toile, où l’on est regardant de derrière, est aussi porteuse d’un cri, qui est un appel à la nomination : “Père, ne vois-tu pas que je brûle ?“15.

b) Considérons maintenant une autre toile consacrée cette fois à un paysage, par exemple n’importe laquelle des nombreuses “Montagne Sainte Victoire“.

La Montagne Sainte-Victoire vue des Lauves (1902-1904),
(Philadelphia, Museum of Art, Philadelphie).   CLIQUER ICI SVP

Paysage somptueux, mais dépourvu de traces humaines, sauf peut-être quelques cabanons, cette œuvre démontre bien que c’est la mise au jour de la structure de la montagne qui fait surgir le fond duquel elle émerge pourtant. Cette structure est faite, non de traits ou de contours, mais du contraste de valeur entre les couleurs.
« Quand la couleur est à sa richesse, nous dit Cézanne, la forme est à sa plénitude. »16.

Ces couleurs, en fonctionnant comme traits différentiels, forment une sorte de grammaire. À la place des énoncés, antécédant toute narration possible, il y a une quête : au-delà de toute assise géologique, en effet, c’est le regardeur qui est assigné comme seul soutien du paysage. Et il y est assigné en “corps propre“, si je peux dire, tant ce sont les articulations signifiantes de son corps qui seront mobilisées pour que puisse exister, dans son événement, la Montagne.

Cette identification du matériau (les couleurs) et du motif entraîne des conséquences qui seront ce que Bacon continuera de questionner.

D’abord, le fond est fondé par le surgissement de la forme du motif. Du coup, au lieu d’être repoussé à l’arrière de la toile dans un espace virtuel, comme dans une toile véritablement perspective, le motif est poussé au-devant de la toile de telle sorte que le regardeur, à son tour, est convié à venir à sa rencontre ; il plonge alors précisément dans cet espace qui le sépare de la toile, espace que le miroir nous a appris à reconnaître comme réel. Un réel d’autant plus inquiétant que, dorénavant, aucune nomination symbolique, venant de l’extérieur, ne peut plus surmonter ce que montre la toile, puisqu’il n’y a plus aucun point de fuite ou point du sujet.

Ensuite, cette entrée dans l’espace réel demande au regardeur (peintre ou spectateur) de mettre en jeu ses propres articulations signifiantes, c’est-à-dire la façon dont il a pu se bâtir un corps par l’usage que les signifiants auront fait de lui. C’est cela l’inquiétude de Cézanne, c’est cela la fragilité du motif. Même lorsque ce motif, on l’a vu, est un autoportrait.

Rilke y a été sensible et a su le dire : « il s’est représenté lui-même, {…} avec une humble objectivité, avec la foi et la curiosité impartiale d’un chien qui se voit dans une glace et se dit : “Tiens, un autre chien !“. »17.
Et aussi curieux que cela puisse paraître, c’est cela qui nous atteint, c’est cela qui nous regarde ; il nous fait partager ses sensations — et ses interrogations : “qui est donc ce “je“, au moment où il s’identifie ?“.
C’est ce point qui constitue sans doute le cœur de mon intervention : la peinture ne nous mène-t-elle pas dans ses parages archaïques de l’identification, du corps et de son image ?

III. La reprise par Bacon

Bacon n’appréciait pas plus que ça Cézanne. Il était cependant cézanien, nous dit Deleuze dans sa « Logique de la sensation »18. Bacon était cézanien. Pourquoi ? Par l’abandon de toute narrativité — même les « Baigneuses » se taisent.
Bacon avait, en effet, repris l’enseignement de Cézanne (à travers en particulier sa découverte de Picasso) parce que Cézanne, je le répète, avait délaissé toute narration. Il avait délaissé l’axe des énoncés, pour se consacrer aux conditions même de l’énonciation. Et, malgré le désespoir qui a pu envahir Cézanne dans sa solitude, lorsqu’il croyait : « reste(r) le primitif sur la voie qu’il a(vait) découverte » 19, c’est en empruntant précisément ce chemin que toute la peinture peut à bon droit se dire “moderne“. Et cela pour une raison déterminante, qui rapproche la peinture de la psychanalyse : avant toute narration, il y faut un sujet — qui se dédouble d’ailleurs, entre le locuteur et l’adresse. Et qui ne surgit qu’après coup.

Résumons-nous. La structure borroméenne du miroir a permis d’établir la structuration de l’espace qu’avait déjà théorisé la perspective. Mais une fois cette tâche accomplie, une nouvelle question ne pouvait manquer de surgir : car si « c’est le regardeur qui fait le tableau »20, comme s’exprime Marcel Duchamp, de quoi est-il donc fait, ce regardeur ?
Cézanne a ouvert la voie. Il a assigné au regardeur la responsabilité de soutenir la toile, celle-ci étant du même coup dépossédée de tout autre point d’appui extérieur.

Et venons-en à Bacon, en choisissant d’étudier, cette fois encore, deux de ses toiles. Ou plus exactement un tableau et le panneau d’un triptyque.

Considérons d’abord le tableau intitulé « Figure écrivant réfléchie par un miroir » datant de 1976 (collection particulière, Paris).   CLIQUER ICI SVP

Malgré le refus catégorique de Bacon de toute narration et de toute illustration, qu’il considère comme étant les deux pièges où peut s’égarer l’art pictural, cette toile est admirablement illustrative de ce qui peut se produire au miroir dès lors qu’un élément essentiel vient à y manquer, en l’occurrence, le regard extérieur de l’adulte qui, au miroir, vient à nommer le sujet. Son absence nous offrira l’occasion de quelques considérations intéressantes qui nous mènerons vers la conclusion.

Dans l’angle d’une pièce à la “profondeur maigre“21, un homme nu est assis, de dos, au côté d’un miroir qui est censé le refléter. Pourtant, il n’en est rien ; le miroir ne reflète pas, il montre une image qui, en l’absence de tout espace virtuel, ne se distingue pas du miroir lui-même : l’image est dans le miroir. Elle est, à un angle près, exactement ce qu’un observateur, justement absent de la scène, verrait du personnage : son dos.
Ce personnage écrit.
C’est saisissant ! Cette toile, sans aucun regard, met sous nos yeux le destin d’un personnage qui ne rencontre réellement pas son image au miroir, qui n’est vu que de dos, et qui, pour remédier à cette situation désubjectivante, tente d’écrire quelques lettres qui, de la table, glisseront au sol et ne renverront au personnage que son ombre — illisible.

Et ce n’est pas tout ! Entre le personnage et le miroir, au lieu même où la perspective inscrirait la distance entre la toile et le regardeur, on trouve une “forme informe“ qui relie entre eux les espaces, qui les agglutine ; et cela est d’autant plus net qu’à cette forme fait écho un cercle jaune, cercle qui fait partie de l’ensemble de ces signes souvent présents chez Bacon (flèches, cercle, barre, verre, cage, ampoule, parapluie) et que j’appelle les “signes diacritiques“. Ces signes ont pour tâche — on peut le constater sur cette seule toile — de représenter ce qui serait un signifiant si jamais il y avait eu l’autre signifiant d’un regardeur. Une preuve supplémentaire est clairement apportée par un autre fait, rarement rapporté : lorsque Bacon signe ses toiles, ce qui n’est pas toujours le cas, c’est par contre toujours …au dos de la toile.

L’absence, comme chez Cézanne, de point de vue extérieur, semble imposer à Bacon un fond fait d’aplats auxquels rien, absolument rien, ne peut s’accrocher. Dans la profondeur maigre, un voile passe, soit entre la figure et le fond (comme c’est souvent le cas, par exemple dans les toiles dites du “Pape Innocent X“), soit en arrière du personnage, ce qui a pour effet de le projeter en avant dans un espace si fluide qu’un regardeur y est convoqué, là aussi, en “corps propre“, comme étayage de ce qui est désespérément recherché : une surface pour la seule chose qui demeure encore des signifiants errants : des lettres.
En l’absence de ce nouage des dimensions par le regard de l’Autre du nom, et lorsque le corps est seul à sa présence, il l’est avec cette cruauté du réel, c’est-à-dire comme “corps sans organisme“, comme s’exprime en toute connaissance de cause Antonin Artaud22. Et, n’ayant pas été nommé, il “fuit“ au travers d’organes qui n’ont pu se fermer.

Venons-en maintenant à la seconde toile de Bacon. Il s’agit du panneau droit du triptyque appelé « Triptyque – À la mémoire de George Dyer », (1971, Collection Beyeler, Bâle).   CLIQUER ICI SVP

Nous nous trouvons ici mis en présence d’une structure absolument confondante d’évidence. Deux plans sont accolés ; ils peuvent être considérés tous deux comme des miroirs : l’un serait vertical et l’autre horizontal ; cependant, quelque chose vient démentir cette première impression : les deux images sont latéralement inverses l’une par rapport à l’autre et non pas par rapport à une figure dont, si elle n’était pas absente, on aurait pu voir deux reflets différents.

Dans l’une de ces images, le regard part vers la droite, alors que dans l’autre il va vers la gauche, divergence qui a comme conséquence d’annuler l’inversion spéculaire en nous montrant toujours le même profil : dans les deux cas, en effet, le profil aperçu est toujours celui de droite.
Deux autres points encore permettent de vérifier cette annulation du miroir et de ses conséquences.
Étrangement, les deux images sont comme adhérentes l’une à l’autre, à l’endroit précis où, en perspective, devrait se trouver la ligne, qu’on appelle “ligne de sol“, et qui assure justement la jonction des deux dimensions, verticale et horizontale. À la place de cette ligne, on retrouve ici aussi une “forme informe“ qui relie ce qui reste du corps commun aux deux images. Cette forme informe est une masse corporelle indistincte. Elle se répand là où, au miroir, se tiendrait celui qui, se retournant vers l’Autre, pourrait oublier cet espace au moment de se constituer comme sujet. Ce serait d’ailleurs une façon de lire une des toutes dernières notes que Freud a écrites : « La Psyché est étendue, ne le sait pas. »23. Ainsi, avec le retournement qui ne se produit pas, c’est l’oubli qui devient impossible. Pour y remédier, à la même hauteur, au niveau de la ligne de sol, court une sorte de rampe, étai, barre, subterfuge inévitable pour que les corps puissent se maintenir dans l’espace.

On pourrait dire de cette barre qu’elle serait la trace de ce que la fonction phallique n’aurait pas réussi à inscrire. Trace non effaçable, rendant inerte le signifiant. Alors que la barre saussurienne du signe rend la narration possible pour un sujet en lui faisant place au niveau de la chaîne des signifiants, elle est ici réduite à une simple barre sans métaphore. Et, si l’on considère le triptyque dans son ensemble, il apparaît que dans le panneau central des lettres sont, là aussi, convoquées pour former l’ombre du sujet ; alors que, dans le panneau de gauche, cette même barre ne supporte plus qu’un personnage couché, qui ressemble à un boxeur, et qui disparaît dans les deux autres parties du triptyque : son amant est décédé.

IV. Ce que la psychanalyse a à prendre comme graine de ce réel-là.

En l’absence d’un certain signifiant extérieur à la scène, c’est donc tout autre chose qui est appelé à prendre la responsabilité du rapport du réel du corps avec son image. Quoi ? L’espace comme parcours ? Peut-être. Ce moment où la trace ne s’est pas encore effacée dans le signifiant… Question difficile que j’essaierai d’aborder ultérieurement.
En tout cas, c’est ce que Bacon nous aide à questionner.

J’en veux pour preuve une notation, très rarement soulignée. Elle n’a probablement pas encore trouvé sa véritable signification. C’est quelque chose que Rilke, avec humour, avait déjà relevée chez Cézanne. Elle se retrouve aussi chez Bacon. Affrontés à leur image au miroir, ils semblent tous deux étonnés. Ils ne renoncent pas, ils cherchent. Ils cherchent, avec la plus grande simplicité, à exprimer les difficultés auxquelles un corps se trouve confronté si, bien qu’ayant acquiescé à la langue, ne leur provient pourtant rien de ce lieu du trésor des signifiants qui pourrait nommer leur image. Je cite Bacon : « Si je vais chez un boucher, je trouve toujours surprenant de ne pas être là, à la place de l’animal. »24.
Il s’agirait là de ce que je me risquerai à appeler, à l’aide d’un oxymore, une “identification asubjective“. Si jamais cela veut dire quelque chose, eh bien, cela proviendrait de cette stase où l’oubli de la surface support s’avère impossible. Il ne s’agirait pas de forclusion, puisque le Nom-du-Père a fonctionné, mais d’une identification à une image de corps qui n’aura pas été reconnue du lieu de l’Autre : identification singulière, sans sujet. Ou préalable au sujet. Ce qui peut se retrouver cliniquement dans certaines situations, les unes à l’issue d’une cure, les autres plus banales.

Ainsi, ce qu’on appelle la traversée du fantasme fondamental, obtenue en fin de cure, n’est-ce pas le retour à ce lieu d’avant le fantasme, là où l’image du corps est livrée à un réel innommable avant tout miroir ?

Ainsi, et plus banalement, cet oubli impossible de la surface, ou de l’écran, n’est-ce pas ce qui est d’expérience commune dans les rêves où apparaissent diverses scènes, s’emboîtant l’une dans l’autre, mais séparées par des sortes de verre ? Et ne retrouvons-nous pas cet impossible oubli, chez un rêveur qui, percevant qu’il rêve, reste cependant séparé du personnage le représentant dans ce qui est la narration du rêve ?

Et si ces images oniriques de traversée impossible étaient ce qu’avait trouvé le rêve pour figurer le réel comme impossible ?

Et puis encore, l’oubli du rêve, qui intervient si rapidement au réveil, n’est-ce, pas là aussi, une nouvelle rencontre avec cette barre, cette barrière de l’impossible ?

Survivre précocement à ces « grandes épreuves de l’esprit »25 et du corps, n’est-ce pas l’expérience commune au psychanalyste et au peintre ?
N’est-ce pas ce que Bacon appelle « son désespoir joyeux »26 ? Ce que je nommerai pour ma part, m’inspirant de Mélanie Klein, une « posture mélancolique »27 ?

« Là où un homme existe au péril de l’espace »28, dit justement Henri Maldiney : n’est-ce pas cela le péril de la psychanalyse ?

*****

Laissez-moi, pour conclure, apporter un témoignage.

Arrivé au bout d’une longue journée de travail, après avoir écouté les analysants confrontés dans la rencontre analytique au réel de leur espace psychique, eh bien, je me sens, moi, comme ayant été incorporé et aspiré dans une toile de Nicolas de Staël, par exemple.
Appelons-la : “Agrigente“.

Roland J. MEYER
01.04.2018
Paris

NOTES

1. Pascal QUIGNARD : Sur le Jadis, Gallimard, Folio, p. 40.
2. Pablo PICASSO : « Conversation avec Picasso », dialogue avec Christian Zervos, Cahiers d’art, 10e année, nos 7-10, 1935,
cité par John Elderfield, in, “Lecture du monde“, Catalogue de l’exposition “Portraits“ de Cézanne, Paris, Gallimard, pp.13-39.
3. Sigmund FREUD : « Au-delà du principe de plaisir », traduction française, Essais de Psychanalyse, Paris, Payot, 1967, pp.
13-20 et nouvelle traduction, 1981, pp. 49-56.
4. Jacques LACAN : « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », Écrits, Paris, Seuil,1966, pp.93-100.
5. J’emploi ce terme dans un sens opposé à son usage classique en ophtalmologie où il désigne au contraire un lieu de concentration des cônes (et particulièrement son centre nommé fovéa) permettant une acuité maximale de la vision en éclairage diurne. Ne serait-ce pas là le sens des derniers mots de Goethe : « Mehr Licht », plus de lumière ? Je remercie Pauline Fourcaut d’avoir attiré mon attention sur ce point.
6. Jacques LACAN : Séminaire XIII, « L’objet de la psychanalyse », leçon du 20 Avril 1966.
7. Fabrice HERGOTT : « La chambre de verre », in Catalogue de l’exposition Bacon au Centre Georges Pompidou, Paris,
1996, p. 61.
8. Jacques LACAN : « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.
571.
9. Donald W. WINNICOTT : « Le rôle du miroir de la mère et de la famille dans le développement de l’enfant », traduction
française, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975, pp.153-162.
10. Blaise PASCAL : Pensées (310), Paris, Flammarion, 2008, p. 127.
11. Sigmund FREUD : Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, XXXI, traduction française modifiée, Paris,
PUF, 1984.
12. Paul CÉZANNE : in, Émile Bernard, Souvenirs de Paul Cézanne et lettres, lettre du 23, Octobre 1905, p. 114 de la version
accessible sur le site Gallica (Internet).
13. Gérard GARROUSTE : “Ma peinture, c’est de l’étude“, interview sur le site Le Magazine d’Akadem, 28 Mars 2018.
14. Jacques DERRIDA : Mémoires d’aveugle, l’autoportrait et autres ruines, Paris RMN/musée du Louvre, 1990, p. 61, cité
par Xavier Rey, in Catalogue de l’exposition “Portraits“ de Cézanne, Paris, Gallimard, pp.44-46.
15. Sigmund FREUD : L’interprétation des rêves, traduction française, Paris, PUF, 1967.
16. Paul CÉZANNE : in, Souvenirs de Paul Cézanne et lettres, p. 161, de la version accessible sur le site Gallica (Internet).
17. Rainer Maria RILKE : Lettres sur Cézanne, Paris, Seuil, 1991, pp. 74-75, cité par John Elderfield, op.cit.
18. Gilles DELEUZE : La logique de la sensation, Paris, Seuil, 2002.
19. Paul CÉZANNE : in, Souvenirs de Paul Cézanne et lettres, op. cit. p. 114.
20. Marcel DUCHAMP : référencé dans L’ingénieur du temps perdu, Paris, Belfond, p. 122.
21. Gilles DELEUZE : op.cit., par exemple p. 59.
22. Antonin ARTAUD : Œuvres complètes, Paris, Gallimard.
23. Sigmund FREUD : Résultats, idées, problèmes, Paris, PUF, 1985, p. 288.
24. Francis BACON : in, David Sylvester, Francis Bacon, Entretiens, traduction française, Paris, Flammarion, 2013, p. 60.
25. Henri MICHAUD : Les Grandes Épreuves de l’Esprit, Paris, Gallimard, 1966.
26. Francis BACON : in, David Sylvester, op.cit. p. 10.
27. Roland MEYER : « Le miroir revisité », communication orale donnée au Colloque de l’EPSF, intitulé « L’étoffe d’un
corps », qui s’est tenu à Paris les 18 et 19 Mars 2017.
28. Henri MALDINEY : Regard Parole Espace, Paris, Cerf, 2012, p. 169.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Didier ANZIEU : Le corps de l’œuvre. Paris, Gallimard, 1981.

Michel ARCHIMBAUD : Entretiens (avec Francis Bacon), Paris, Gallimard, Folio, 1996.

Émile BERNARD : Souvenirs de Paul Cézanne et lettres, version accessible sur le site de Gallica.

Gilles DELEUZE : Francis Bacon – Logique de la sensation, Paris, Seuil, 2002.

Sigmund FREUD : ° L’interprétation des rêves, traduction française, Paris, PUF, 1967.
° Essais de Psychanalyse, traduction française, Paris, Payot, 1967, et nouvelle traduction, 1981.

Peter HANDKE : La leçon de la Sainte-Victoire, traduction française, Paris, Gallimard, Arcades, 1985.

Jacques LACAN : Écrits, Paris, Seuil, 1966.

Henri MALDINEY : Regard Parole Espace, Paris, Cerf, 2012.

David SYLVESTER : Entretiens avec Francis Bacon, traduction française, Paris, Flammarion, 2013.

Donald D. WINNICOTT : Jeu et réalité, traduction française, Paris, Gallimard, 1971.

Mémoire et Psychanalyse

Mémoire et Psychanalyse
Entretien Paule Pérez et Daniel Gostain

Daniel Gostain est professeur des écoles, qui se définit comme instituteur, militant en pédagogie Freinet et clown de théâtre. Auteur de plusieurs livres, il œuvre à « enseigner autrement » sur scène, comme sur son blog : http://pedagost.over-blog.com/

Il interroge Paule Pérez sur la fonction « mémoire » au travers de la psychanalyse…

Charade : Une page musicale

Charade : une page musicale.

Vitaphone est un projet musical d’inspiration pop, rock et psychédélique. Issu d’une scène ou gravitent plusieurs projets menés majoritairement par des artistes, Vitaphone en est depuis plusieurs années l’une des figures de proue, se produisant au Centre Pompidou, au Supersonic (2016) ou encore au Bus Palladium (2017).

Autour d’une base instrumentale classique des formations pop rock (basse, guitare, batterie, chant) la musique de Vitaphone s’enrichit de sonorités électroniques provenant aussi bien de téléphones portables que d’instruments véritables. Ce melting-pot de sons est un écrin pour une voix singulière et des textes composés en majorité par la poétesse Madeleine Aktypi. Abstraits, légers, ils posent un ensemble joyeux, parfois distordu, animé par une soif de renouvellement permanent.

Vincent Israel-Jost est guitariste, il compose, écrit et fait accessoirement des claviers et des chœurs. Il est également philosophe, auteur d’un ouvrage sur l’observation scientifique (Classiques Garnier 2015), co-auteur de plusieurs ouvrages collectifs et de nombreux articles scientifiques. Il a notamment contribué à Temps Marranes (« L’Amérique articulée d’Obama » TM-5 janvier/février 2009).

Pierre Ryngaert est chanteur et créateur de solos aléatoires au clavier et à la guitare. Il est également auteur, écrivain et performer.

Julien Tibéri, batteur percussionniste, est aussi artiste plasticien, représenté par la Galerie Sémiose à Paris.

Ils jouent ensemble depuis 2013.

Après un premier album sorti en 2016, Vitaphone propose Charade, un long morceau épique d’une vingtaine de minutes. C’est un voyage à la Lewis Carroll en flux continu, passant de morceaux pop à des plages contemplatives, spatiales ou galopantes. Comme chez l’écrivain, la cohérence n’est pas à chercher dans ces diverses parties mais dans un tout construit, une certaine manière d’enchâsser les chansons. Cette construction en huit mouvements peut d’ailleurs se résumer à la charade suivante :

Mon premier est une salade,
Mon deuxième est une salade,
Mon troisième est une salade,
Mon quatrième est une salade,
Mon cinquième est une salade,
Mon sixième est une salade,
Mon septième est une salade,
Mon huitième est une salade,

Mon tout est un auteur anglais.

Ce morceau sortira d’ici quelques semaines en face B d’un vinyle partagé avec le groupe rémois Feu Robertson (label Partycul System).

Vincent Israël-Jost