par Nadine Meyran
sur l’appui de la fenêtre du pain blanc est offert
dans l’ombre derrière moi ma mère remercie l’homme qui m’effraie
devant ma bouche le dehors est troué par l’éblouissante tranche du pain
à travers la fenêtre je vois la colline levée rayée de vignes vertes
l’éclatante lumière pèse sur mes yeux
ma mère derrière moi est une tache claire en été
une autre femme est là
leurs voix frappent ma nuque
là-bas un homme court enjambe saute fuit
une rafale traverse la vision
la silhouette bondit tombe
ai-je entendu les cris
la machine à coudre sent le métal et l’huile
troisième fenêtre
il fait clair et gai comme un dimanche matin
un cycliste coloré est venu près de moi chercher l’augure de sa course
il demande
est-ce que je vais gagner aujourd’hui
réponds à « Monsieur Rougie » dit ma mère
c’est une photographie
ma mère est assise dans la fenêtre
elle fume
il fait grand soleil
adossée à l’encadrement
elle laisse négligemment pendre une jambe dans le vide
l’autre est repliée devant elle
je vois en gris le coton du bleu de travail qu’elle a revêtu
la photo est en noir et blanc
je suis à l’intérieur frais de la maison
mon père surgit
son buste s’inscrit à contre-jour dans l‘ouverture
il demande de l’aide
je refuse pour éprouver sa présence et sa colère
il se fâche désemparé vite il abandonne
la fenêtre redevient claire
j’ai honte de moi
je vu ce qu’une fille ne doit pas savoir de son père
c’est ma grand-mère à la fenêtre
elle regarde dehors
je suis la photographe
je surprends son visage derrière la vitre
isolé dans le jour clair
le corps a déjà disparu dans l’ombre qui le dévore
« Le poulet a piqué la fenêtre » dit-elle avec son langage troué
elle est morte égarée
l’enfance en moi chante encore un peu
les images fortes de ma vie sont encadrées
mais les voix qui sortent de la chambre s‘évanouissent en entrant dans le cercle du jour
Nadine Meyran,
7 décembre 2008